Abélard ou Abailard (Pierre), (suite)
Pierre Abélard, né dans une famille de chevaliers, est l'un des esprits les plus brillants de la première moitié du XIIe siècle. Son talent se révèle rapidement, à Paris, dans les débats (quaestiones) qui l'opposent à son maître Guillaume de Champeaux, écolâtre de Notre-Dame et fondateur de la collégiale de Saint-Victor. Chassé par Guillaume, Abélard fonde sa propre école, à Melun, puis à Corbeil. Dès cette époque, il est considéré comme un maître, et adulé.
Après quelques années d'interruption due à la maladie, il revient à Paris pour affronter de nouveau le vieux Guillaume. Sa méthode est la dialectique, confrontant les textes et les idées contradictoires. Le terrain de l'affrontement est la logique ; le contenu du débat, la querelle des universaux, où il oppose le conceptualisme aux impasses du réalisme et du vocalisme (une forme de nominalisme). Délaissé par ses élèves, Guillaume se retire à Saint-Victor, abandonnant la montagne Sainte-Geneviève à Abélard. Logicien et philosophe reconnu, ce dernier décide alors de s'attaquer à la théologie. Déçu par l'enseignement d'Anselme de Laon, il improvise un commentaire sur Ézéchiel, en appliquant au texte les méthodes mises au point dans ses travaux de logicien. L'auditoire est enthousiaste, et de nombreux élèves quittent Laon pour le suivre à Paris.
C'est alors que la vie d'Abélard connaît son premier tournant : sa rencontre avec la jeune Héloïse vers 1115, leur amour, la naissance d'un fils, leur mariage secret et, pour finir, sa castration et la claustration d'Héloïse. Malgré leur séparation, ils restent en relation jusqu'à la mort d'Abélard. Entré à Saint-Denis, ce dernier poursuit son œuvre théologique. Son premier traité, sur la Trinité, est condamné et brûlé au concile de Soissons (1121).
À partir de cette date, l'auteur doit faire face à une farouche opposition de la part de ceux qui refusent de voir le mystère chrétien expliqué sur un mode rationnel : saint Bernard n'a de cesse de réduire cette nouveauté, qui lui paraît vaine et blasphématoire. En 1122, Abélard s'enfuit du monastère dionysien et fonde, près de Nogent-sur-Seine, un oratoire - le Paraclet -, où le rejoignent de nombreux disciples. Après un abbatiat difficile dans un monastère breton, il est enseignant à Paris en 1136. Face au succès de son rival, saint Bernard vient prêcher dans la ville, mais ne parvient pas à conquérir les étudiants. En 1140, la dispute organisée entre le moine et le professeur à Sens se révèle être un piège : Abélard se retrouve face à un concile chargé de le juger. Malgré la réticence des évêques réunis à Sens, saint Bernard arrache au pape la condamnation de onze thèses extraites d'œuvres d'Abélard, qui sont brûlées. Le philosophe, malade, est recueilli à Cluny par Pierre le Vénérable. Il meurt le 21 avril 1142, au couvent de Saint-Marcel.
Dans cette apparente défaite, il faut déceler une victoire : les thèses d'Abélard seront unanimement acceptées dès la fin du siècle, ainsi que sa méthode dialectique, exposée dans Sic et non (1134 ou 1136). Avec Abélard est née la scolastique.