Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
R

réaction nobiliaire, (suite)

Or, le pouvoir est d'autant moins disposé à se priver des officiers qu'il y trouve politiquement et financièrement son compte. En revanche, il a tout intérêt à enrayer l'hémorragie des rôles de taille et de franc-fief et à contrôler les voies d'anoblissement, ne serait-ce que pour les fiscaliser à sa guise. Lancée par l'ordonnance d'Orléans (1560), l'offensive royale contre les usurpateurs de noblesse est tour à tour complétée par l'ordonnance de Blois (1579), interdisant l'anoblissement par les fiefs, et par les édits sur les tailles de 1583, de 1600 et de 1634. Mais c'est seulement sous Louis XIV que l'État parvient à traduire dans les faits sa volonté de ramener les faux nobles dans les rangs du tiers état, au moyen des recherches diligentées dans toutes les provinces du royaume. Pour autant, cette politique ne comble pas les vœux des zélateurs de la pureté séminale de la noblesse, qui affectent de ne voir dans les anoblis de la robe et de la finance qu'une « vile bourgeoisie » (Saint-Simon).

La conquête de l'exclusivisme nobiliaire.

• Les prétentions du second ordre à monopoliser les hautes fonctions de la monarchie - ainsi que celles de l'Église qui sont au choix du roi - ne se relâchent pas au long du XVIIIe siècle. L'exclusivisme nobiliaire est de règle non seulement au parlement de Bretagne, où il est codifié dès 1678, mais aussi à ceux de Paris, Grenoble, Aix, Toulouse et Besançon, où la proportion de roturiers varie de 10 à 25 %. Quand bien même les autres cours restent plus ouvertes aux hommes nouveaux, il s'ensuit une diminution des anoblissements effectifs par charge, qui participe étroitement de l'exaspération des frustrations roturières.

Mais l'exclusivisme nobiliaire ne revêt pas un caractère moins marqué dans l'armée : confrontée à la concurrence des courtisans, de la noblesse provinciale aisée et de riches roturiers (en nombre croissant depuis la fin du règne de Louis XIV), toute une noblesse désargentée se voit exclue de la profession militaire, en raison de la vénalité des grades. Accusée d'inutilité sociale, elle devient, dans les années 1750, l'enjeu d'un important débat sur son rôle dans une société où la richesse et l'instruction le disputent de plus en plus à l'hérédité. Or, avant même que la défaite de Rossbach (1757) pose au grand jour la question de la compétence des officiers nobles, Louis XV a tenté de concilier naissance et talent, en instituant, en 1751, une École militaire, accessible aux gentilshommes de quatre degrés et aux fils de chevaliers de Saint-Louis. Les déconvenues de la guerre de Sept Ans accélèrent la « renobilisation » des cadres de l'armée : dès 1758, une instruction ministérielle favorise l'avancement des officiers bien nés aux dépens des roturiers ; en 1776, le comte de Saint-Germain organise l'extinction progressive de la vénalité des grades et crée douze collèges militaires, où six cents nobles réputés pauvres sont instruits aux frais du roi. Mais, à cette lutte entre les ordres, s'ajoute une compétition sans merci au sein du second : en dressant une barrière généalogique de quatre degrés de noblesse pour accéder à l'épaulette, le règlement adopté par le comte de Ségur le 22 mai 1781 consacre, en même temps que le plan de « castification » du corps des officiers, la volonté nobiliaire d'indexer la hiérarchie de l'ordre sur le seul critère de l'ancienneté.

Récamier (Jeanne Françoise Julie Adélaïde Bernard, épouse Récamier, dite Mme),

figure éminente de la vie mondaine, littéraire et politique des premières décennies du XIXe siècle (Lyon 1777 - Paris 1849).

Issue de la bourgeoisie aisée de Lyon, la jeune fille, surnommée Juliette, épouse en 1792 le banquier Jacques Récamier, qui fait fortune sous le Directoire et le Consulat. L'hôtel Récamier, sis à la Chaussée d'Antin, à Paris, devient à la mode, et le salon de Mme Récamier - laquelle n'a avec son époux que des relations lointaines - connaît un éclatant triomphe mondain : elle y reçoit des hommes en vue du régime (Lucien Bonaparte), mais aussi des émigrés (les Montmorency) et des libéraux (notamment Benjamin Constant et Mme de Staël, avec laquelle elle noue une amitié profonde et durable). Bien que Mme Récamier ne soit pas une femme engagée, son salon comprend trop de libéraux pour ne pas être menacé par l'autorité impériale. Exilée de Paris en 1811, elle voyage en Italie, où elle se rapproche des Murat. Le retour des Bourbons lui permet de reformer son salon en 1814, malgré la ruine qui s'abat sur les affaires de son mari. En 1817, elle rencontre Chateaubriand, avec lequel elle forme très vite l'un des couples les plus célèbres d'Europe. En 1819, des soucis financiers la contraignent à s'installer comme pensionnaire à l'Abbaye-aux-Bois, à Paris. Son salon se mue en un cénacle littéraire, lieu clé du romantisme et consacré, après 1830, à la gloire de Chateaubriand, qui y donne, au fil de leur rédaction, à partir de 1834, la lecture des Mémoires d'outre-tombe. Mme Récamier a été célébrée par les écrivains du temps pour sa beauté, son charme, son intelligence et ses talents mondains : « C'est par de telles influences, écrit d'elle Sainte-Beuve, que la société devient société autant que possible et qu'elle acquiert tout son liant et toute sa grâce. »

Reclus (Jean Jacques Élisée, dit Élisée),

géographe et homme politique (Sainte-Foy-la-Grande, Gironde, 1830 - Torhout, Belgique, 1905).

Fils de pasteur, il fait ses études de théologie à Montauban et à Berlin, où il lit les travaux des géographes prussiens. Étudiant de droit à Paris, il fréquente les milieux républicains et quitte la France après le coup d'État du 2 décembre 1851. Il profite de cet exil pour visiter la Grande-Bretagne, l'Amérique du Sud et les États-Unis. De retour en France en 1857, il fait montre de ses talents d'observateur à la Revue des Deux Mondes, où il publie des articles remarqués sur la guerre de Sécession américaine. Il partage ses activités éditoriales entre témoignages et récits de voyage (Tour du Monde), géograhie locale touristique (Guides Joanne) et grandes synthèses géographiques (la Terre, description des phénomènes de la vie du Globe, 1867-1868). À la fin du Second Empire, il participe avec son frère aîné Élie au mouvement anarcho-socialiste, au sein de l'Alliance internationale de la démocratie sociale, fondée avec Bakounine. Combattant de la Commune, il est arrêté en avril 1871 et condamné à la déportation jusqu'à ce que Thiers, sous la pression de personnalités scientifiques étrangères, commue sa peine en dix ans de bannissement. Dans son exil, Reclus entame sa Géographie universelle (publiée de 1875 à 1894) et commence en 1892 une carrière de professeur de géographie à l'université de Bruxelles. Passionné comme son frère Onésime de géographie pittoresque, il demeure néanmoins lié à la grande veine de vulgarisation scientifique des « géographies universelles », poursuivie par Vidal de La Blache et Lucien Gallois.