Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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chevalerie. (suite)

Noblesse et chevalerie

À l'origine, la chevalerie ne formait pas une classe sociale. Elle regroupait, en une sorte de « corporation » avant la lettre, ceux qui pratiquaient le même métier. Au cours du XIIe siècle, plusieurs facteurs entraînent une diminution du nombre des chevaliers : d'abord, les croisades ont affecté durement les familles seigneuriales ; ensuite, le coût de l'équipement complet augmente, ainsi que celui des fêtes qui accompagnent la remise des armes, de plus en plus solennelle, au nouveau chevalier (adoubement) ; enfin, la multiplication des forteresses de pierre et, par conséquent, des opérations de siège, souligne l'utilité d'autres types de combattants (fantassins, archers) et valorise le rôle des « ingénieurs » (constructeurs d'engins de guerre). La chevalerie demeure bien la reine des batailles, mais celles-ci se font rares. Elles frappent toutefois l'imagination des chroniqueurs, qui glorifient toujours le rôle des chevaliers : moins vulnérables grâce aux progrès de l'armement, ils conservent un prestige incomparable. Tous ces facteurs conduisent l'aristocratie, au cours du XIIIe siècle, à réserver à ses fils l'accès à la chevalerie, qui devient alors une distinction supplémentaire, que tous les nobles n'obtiennent pas, mais que seuls ceux-ci peuvent recevoir (et conférer) par l'adoubement. Les souverains, rois et empereurs s'arrogent toutefois le droit d'adouber des roturiers, qui sont ainsi anoblis ; pendant plusieurs siècles, cette cérémonie constituera pour eux le seul moyen d'accéder à la noblesse. Le caractère aristocratique de la chevalerie se manifeste aussi dans les tournois, de plus en plus fastueux. Au XIIe siècle, le tournoi n'est encore qu'une guerre en miniature et codifiée, opposant deux camps et comportant - comme la guerre - sièges, batailles, embuscades, captures et rançons. Le butin recueilli enrichit les vainqueurs ; il permet ainsi aux chevaliers sans fortune de vivre de leur vaillance, en louant leurs services aux maisons princières qui recrutent les champions sous leur bannière. Peu à peu, le tournoi collectif (mêlée) laisse place aux joutes individuelles. Le spectacle et l'apparat (écus peints, armoiries, bannières multicolores, vêtements somptueux, présence des dames, etc.) limitent le caractère militaire qui, toutefois, ne disparaît pas : le tournoi demeure, jusqu'à la fin du Moyen Âge, et même au-delà, un entraînement à la guerre. Mais, dans cette dernière, la chevalerie joue désormais un rôle plus prestigieux que prépondérant, surtout après l'apparition de l'artillerie (fin XIVe-XVe siècle).

Église et chevalerie

La société médiévale est connue essentiellement par des sources ecclésiastiques. Il faut donc tenir compte de leur partialité. Toutefois, sans aucun doute, l'Église, seule dispensatrice du savoir, exerçait une influence déterminante sur la pensée des hommes, notamment sur la formation des concepts et des idéologies. La chevalerie n'échappe pas à cette emprise, même si son origine guerrière (donc laïque) lui a permis de préserver en son sein des valeurs qui ne doivent rien à la religion chrétienne. Très tôt, dès que l'Empire romain est devenu chrétien (313), l'Église a été confrontée au délicat problème posé par l'exercice du pouvoir et des armes. S'éloignant, par nécessité politique, du pacifisme individualiste des premiers chrétiens, elle opère une distinction nette entre les clercs, dépositaires du pouvoir spirituel, chargés d'informer et de diriger les gouvernants, et tenus de se préserver des souillures du siècle (le sexe et le sang, par exemple), et les laïcs, vivant dans le monde et, par là même, exposés au péché. À la tête de cet ordre des laïcs, les rois ont reçu pour mission de gouverner selon les préceptes divins et de maintenir la paix dans le pays, grâce aux pouvoirs militaire et judiciaire dont ils disposent : défense contre les ennemis de l'extérieur, sécurité et justice à l'intérieur. Ainsi est assurée la protection des églises, du clergé et de tout le peuple chrétien désarmé. L'Église rappelle solennellement ces devoirs inhérents à la fonction royale lors des cérémonies du sacre et du couronnement. Au cours des IXe et Xe siècles, en France surtout, l'autorité des rois s'exerce non plus directement mais par l'intermédiaire des comtes, qui, souvent, parviennent à s'affranchir de la tutelle royale et se créent des principautés largement indépendantes. Au début du XIe siècle, dans certaines régions du moins, ces pouvoirs échoient aux châtelains (les sires), les châtellenies étant des centres administratifs, économiques, judiciaires et militaires. Les auxiliaires armés de ces potentats locaux exercent sur les populations une force de coercition : ils prélèvent les taxes seigneuriales, protègent, mais souvent exploitent aussi les paysans. Ils combattent également les seigneurs rivaux du voisinage et, parfois, pillent, rançonnent églises, clercs ou paysans au cours de leurs guerres privées. Il s'agit précisément des milites, des chevaliers, des guerriers professionnels.

Pour contenir leur turbulence et limiter les dommages qu'ils provoquent, l'Église tente d'abord de se substituer à l'autorité centrale défaillante en brandissant l'arme spirituelle de l'excommunication. Par la Paix de Dieu, dès la fin du XIe siècle, elle essaie de soustraire à ces violences les inermes, c'est-à-dire tous ceux qui ne portent pas d'armes (clercs, moines, paysans, femmes, enfants), ainsi que certains lieux (églises et monastères). Vers 1040, par la Trêve de Dieu, elle cherche aussi à circonscrire ces guerres privées dans le temps : celles-ci ne pourront se dérouler - les chevaliers s'y engagent en prêtant serment sur les reliques des saints - ni lors des fêtes liturgiques ni, chaque semaine, du jeudi soir au lundi matin, en souvenir de la Passion du Christ. Ces interdictions n'ont qu'une efficacité limitée ; les conciles et assemblées de paix, fort nombreux aux XIe et XIIe siècles, ne cessent de déplorer leur violation. La prédication de la première croisade à Clermont (1095), à la fin d'un concile de paix, apporte d'ailleurs la preuve de l'échec relatif de cette politique : ne pouvant éradiquer les guerres privées à l'intérieur de la Chrétienté, l'Église tente de détourner la violence des chevaliers vers l'extérieur en leur donnant pour mission la libération des Lieux saints de Jérusalem. Les croisés cesseraient ainsi d'appartenir à la militia du monde (souvent assimilée par jeu de mots à la malitia, la malfaisance), pour former la milice du Christ.