libre-échange (traité de) [1860],
accord franco-britannique, signé le 23 janvier 1860, qui libéralise les échanges entre les deux pays.
La France accepte de lever la prohibition sur les produits métallurgiques et textiles anglais, se contentant de les taxer à 25 % de leur valeur, tandis que les droits sur les autres produits sont réduits. En contrepartie, le Royaume-Uni accepte l'entrée en franchise de la plupart des productions françaises et abaisse la taxe d'exportation sur la houille. Il s'agit donc d'un allègement des droits plutôt que d'un libre-échange absolu.
Préparé en secret, et qualifié de véritable « coup d'État douanier », ce traité est l'œuvre personnelle de Napoléon III, influencé par les saint-simoniens et les économistes libéraux, tel Michel Cheva-lier. Mis à part une frange étroite d'industriels exportateurs et de négociants des grands ports, la plupart des milieux économiques sont alors résolument protectionnistes. Regroupés dans la très puissante « Association pour la défense du travail national », ils redoutent qu'une concurrence trop forte et prématurée ne brise l'essor d'industries encore fragiles. En fait, passé le premier choc de la brusque ouverture (et pour autant qu'on puisse isoler ses effets de la conjoncture économique), le traité semble avoir une incidence assez faible, ne répondant ni aux espoirs des uns ni aux craintes des autres. Les échanges augmentent, mais il n'y a ni invasion du marché intérieur par les produits anglais, ni conquête spectaculaire de marchés extérieurs. Le choc est plus symbolique que réel. Il donne néanmoins le signal, à travers l'Europe, d'une vague de traités bilatéraux libéralisant les échanges.
libre-pensée.
Au même titre que la philosophie des libertins de l'âge classique dont elle est l'héritière, la libre-pensée se définit par son refus de toute vérité posée a priori, donc de tout dogmatisme religieux.
L'expression « libre-penseur » apparaît en anglais, puis en français au XVIIe siècle, mais ce n'est qu'au XIXe siècle que la libre-pensée se revendique comme un mouvement et une force sociale. Elle récrit alors de façon téléologique toute l'histoire de la pensée, présentée comme un combat entre une attitude critique et la soumission à la fable ou au dogme. Elle valorise les écarts tels que les hérésies religieuses ou la kabbale. Elle rappelle le martyrologe des esprits persécutés (Giordano Bruno, Étienne Dolet, Galilée). Elle se reconnaît essentiellement dans l'humanisme de la Renaissance, dans le rationalisme cartésien, dans la philosophie des Lumières, autant de mouvements qui affirment leur confiance dans l'homme, libéré de toute fatalité, et lui ouvrent des perspectives de progrès. Elle salue dans la Révolution une première séparation de l'Église et de l'État, et dans les progrès de la science les étapes d'une émancipation. Elle inspire les recherches sur l'origine du phénomène religieux considéré comme purement humain. Le libertinage érudit avait gardé la trace de ces explications antiques selon lesquelles les dieux seraient des héros idéalisés ou bien des allégories des phénomènes naturels, et avait présenté les prophètes comme des imposteurs (Traité des trois imposteurs) ; au XIXe siècle, David Friedrich Strauss et Ernest Renan voient en Jésus un être humain, historiquement situé, et Darwin montre la continuité de l'animal à l'homme. Proudhon lance une formule dont la valeur est polémique : « Dieu, c'est le mal. » Marx, Nietzsche et Freud, en remettant en cause l'idée de l'homme telle que le définissait l'optimisme des Lumières, transforment les fondements théoriques de la libre-pensée. Mais c'est aussi le moment où les organisations par lesquelles elle s'exprime, la franc-maçonnerie ou la Ligue de l'enseignement, se constituent en groupes de pression.
Depuis l'abolition du Concordat en 1905, qui consacre définitivement un État laïque, la libre-pensée fonctionne en France comme gardienne vigilante du principe de laïcité et se manifeste à chaque fois que risque d'être remise en cause l'école publique laïque et obligatoire ou favorisé un enseignement religieux ou privé, ainsi que dans les grands débats moraux : droit à l'avortement et à la mort assistée, reconnaissance de l'union libre, égalité entre les sexes, refus de toute discrimination raciale, religieuse ou sexuelle, lutte contre les sectes et les endoctrinements. Il s'agit toujours de défendre l'idéal d'un être humain libre dans ses actes, indépendamment de toute norme préétablie ou transcendante. La célébration en 1989 du bicentenaire de la Révolution et, inversement, la commémoration en 1996 de la conversion de Clovis au christianisme ont montré la permanence du clivage entre les deux France, tout comme celle de la libre-pensée, dans ses deux versions, anarchiste ou étatiste.
lignage.
Appartiennent à un même lignage tous les individus descendant, en ligne paternelle, d'un même ancêtre.
L'apparition, au XIe siècle, d'une organisation familiale de type lignager est la traduction de la diffusion de nouvelles normes de comportement social de la part de l'aristocratie.
La conscience d'appartenir à un lignage s'ancre dans une histoire dont la connaissance repose sur la récitation de la généalogie de la famille. La mémoire généalogique permet en effet de remonter jusqu'au temps des origines et à l'ancêtre commun dont les actions glorieuses ont fondé la fortune du groupe. Elle permet aussi de connaître la parentèle et les alliances. L'identité lignagère est fondée sur les lieux auxquels se rattache cette mémoire, notamment les châteaux acquis ou construits par les ancêtres les plus lointains, et dont la famille finit, au XIIe siècle, par prendre le nom.
Le souci primordial, pour un lignage, est d'éviter l'amenuisement du patrimoine. L'organisation lignagère apparaît ainsi d'abord comme un moyen de lutter contre l'appauvrissement provoqué aux siècles précédents par les divisions successorales et par les générosités intempestives envers l'Église. À partir du XIe siècle, le patrimoine se transmet du père à un - et un seul - de ses fils, le premier-né, au détriment de ses frères cadets et de ses sœurs. Le groupe familial exerce toutefois un contrôle sur sa gestion : il doit donner son accord pour toute aliénation de terre. Le patrimoine n'est pas la propriété d'un individu, qui n'en est que le détenteur transitoire, mais celle du lignage dont il faut assurer la continuité et la reproduction.