Napoléon Ier. (suite)
Au même moment, l'Autriche qui prend conscience du réveil national en Allemagne, entre en guerre contre Napoléon ; elle se retrouve néanmoins isolée au sein de la cinquième coalition. Napoléon triomphe à Wagram, le 6 juillet 1809, au terme d'une campagne plus difficile et acharnée que celle de 1805. Le 2 avril 1810, il épouse Marie-Louise, la fille du vaincu, l'empereur François Ier, après avoir divorcé d'avec Joséphine. Cette alliance avec la vieille famille des Habsbourg semble l'avoir grisé. Il oublie qu'il n'est qu'un dictateur de salut public et croit pouvoir fonder la quatrième dynastie, celle des Bonaparte, qui succéderait aux Mérovingiens, aux Carolingiens et aux Capétiens. La naissance d'un fils, le roi de Rome, le 20 mars 1811, le renforce dans cette conviction : « J'ai montré que je veux fermer la porte aux révolutions. Les souverains me doivent d'avoir arrêté le torrent de l'esprit révolutionnaire qui menaçait leurs trônes. Tous les trônes s'écrouleraient si celui de mon fils tombait. » L'empire napoléonien englobe alors la moitié de l'Europe ; l'autre moitié est alliée ou soumise ; seules les îles - Angleterre, Sicile et Sardaigne - échappent à son emprise.
En politique intérieure, Napoléon écarte ses principaux ministres, Chaptal, Talleyrand et Fouché, au profit de simples courtisans. Il crée dès 1808 une noblesse d'Empire, accentuant ainsi le caractère monarchique de son pouvoir ; il fait fi de la puissance spirituelle du pape, qui est arrêté le 6 juillet 1809 et retenu en captivité. Aussi se transforme-t-il peu à peu en despote aux yeux des notables issus de la Révolution qui l'ont soutenu lors de la prise du pouvoir le 18 brumaire an VIII.
L'organisation politique et économique de l'Empire
À l'apogée de son pouvoir, Napoléon se coupe de la bourgeoisie qui a vu naguère en lui un sauveur. Le frêle général de l'armée d'Italie a désormais fait place à un petit homme bedonnant aux cheveux courts. Mais le souci de promouvoir son image n'a pas disparu : le chapeau bicorne, la redingote grise, la main dans le gilet et la mèche composent une silhouette popularisée par la peinture et l'imagerie populaire. Tous les arts sont mis au service de la gloire napoléonienne, du Sacre de David au Triomphe de Trajan, opéra de Lesueur. Les sujets sont imposés aux peintres. En mars 1806, par exemple, ils sont invités à traiter de l'entrevue de Napoléon et de l'empereur François II « dans la proportion de 3 mètres 3 décimètres de haut sur 4 ou 5 mètres de large », ce qui constitue un bel exemple de culture dirigée. Une Direction générale de l'imprimerie veille d'ailleurs à ce que les imprimeurs « n'impriment rien de contraire aux devoirs envers le souverain et à l'intérêt de l'État ». Aucun écrivain n'a été à l'abri des persécutions, car Napoléon entend imposer à la littérature un rôle éminent dans l'État. Mme de Staël sera ainsi exilée, et Chateaubriand, mis dans l'impossibilité de prononcer son discours de réception à l'Institut. Le conditionnement des esprits passe par l'Université impériale, qui a le redoutable monopole des diplômes, et par le catéchisme impérial, qui enseigne les devoirs dus à l'Empereur à côté de ceux dus à Dieu. Au fil des années, le régime se fait de plus en plus autoritaire et arrogant : « Mes peuples d'Italie me connaissent assez pour ne point devoir oublier que j'en sais plus dans mon petit doigt qu'ils n'en savent dans toutes leurs têtes réunies. »
Sur le plan diplomatique, Napoléon en vient à considérer les autres souverains de sa famille comme de simples sous-préfets. Louis, roi de Hollande, Jérôme, roi de Westphalie, Joseph, roi d'Espagne, comme son beau-frère, Murat, qui règne à Naples, sont rappelés à l'ordre, repris, tancés, au point que Louis finit par abdiquer et Murat par trahir. Cet autoritarisme, qui s'exprime au travers de la fameuse « centralisation administrative », se retrouve naturellement dans le domaine économique. « C'est moi qui ai créé l'industrie française », confie Napoléon à Caulaincourt en 1812. Les expositions le confirment. Celle de l'an IX réunit 220 exposants, celle de l'an X, 540, celle de 1806, 1422. Trois secteurs sont particulièrement privilégiés par Napoléon : la soie, l'industrie de luxe et les armements. Toutes ces activités sont encouragées par des commandes de l'État. C'est le triomphe du dirigisme, que symbolise le nouveau droit minier qui sépare, par la loi du 21 avril 1810, la propriété du sol de celle du sous-sol et attribue à l'État l'exploitation de ce dernier.
Le même souci de dirigisme se retrouve en matière commerciale. Le développement du réseau routier est le fait de l'État. Commerce et stratégie militaire vont ici de pair. Quant à la politique sociale de l'Empereur, elle suit sa politique économique. La condition juridique de l'ouvrier est aggravée par la loi du 22 germinal an XI qui lui impose le port d'un livret : celui-ci le place dans la dépendance de son employeur et sous la surveillance de la police. Le monde ouvrier tolère néanmoins cette situation, car Napoléon veille à maintenir dans la capitale le bas prix du pain, tandis que la guerre, par ses ponctions de conscrits, réduit le chômage et favorise la hausse des salaires.
Molé, qui fut ministre, résume ainsi la politique de Napoléon : « Son génie l'éloignait de tout partage de l'autorité. L'unité était à ses yeux la condition indispensable de tout gouvernement fort. »
Le temps des défaites
L'établissement du Blocus continental impose de lourds sacrifices à l'Europe, et notamment à la Russie, qui ne peut plus exporter ses céréales et son chanvre. Le tsar Alexandre se détache très rapidement de Napoléon. La guerre éclate en 1812. Trop sûr de lui, l'Empereur pense qu'Alexandre cédera devant l'armée de près de 600 000 hommes qu'il a rassemblée. Mais le recul des forces russes oblige les Français à s'enfoncer dans les steppes. L'Empereur s'empare de Moscou en septembre 1812, et croit qu'Alexandre va signer la paix. Mais l'exaspération du sentiment national est telle en Russie qu'elle interdit de traiter avec l'envahisseur. Napoléon, surpris par un hiver prématuré, est contraint le 19 octobre à une retraite qui s'effectue dans des conditions désastreuses.