Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

anarchisme, (suite)

Le rayonnement d'avant 1914.

• Le proudhonisme influence le mouvement ouvrier sous le Second Empire et sous la Commune. Mais, c'est en novembre 1871, avec la création de la Fédération jurassienne de James Guillaume, que les anarchistes commencent vraiment à se structurer en France, dans le cadre plus général d'une lutte contre les marxistes au sein de la Ire Internationale. Lors du congrès fondateur de Marseille (1879), différents groupes anarchistes s'affilient pourtant à la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France. Mais ils la quittent très vite, et certains, inspirés par Malatesta et Kropotkine, se lancent dans l'action violente. Celle-ci culmine, en 1892-1894, lors d'une vague d'attentats (Ravachol, Vaillant, Caserio) contre les symboles de la république bourgeoise, puis dégénère dans les sombres exploits de la bande à Bonnot (1911-1913). Mais la plupart se tournent vers des activités plus pacifiques : l'éducation (la Ruche, de Sébastien Faure), le journalisme (le Libertaire, les Temps nouveaux pour les collectivistes ; l'Anarchie pour les individualistes), la propagande néomalthusienne (Paul Robin) ou l'action syndicale (Fédération des bourses du travail, de Fernand Pelloutier ; CGT, dont Émile Pouget devient secrétaire adjoint en 1900). Au demeurant, la Charte d'Amiens (1906) montre la force du syndicalisme révolutionnaire à la veille de la Grande Guerre. C'est pourquoi le regroupement de toutes les mouvances anarchistes dans la Fédération communiste révolutionnaire anarchiste (FCRA) en 1913 laisse augurer un bel avenir.

Une baisse d'influence.

• Mais le premier conflit mondial oppose violemment les adversaires et les partisans de l'« union sacrée » (Sébastien Faure contre Jean Grave), ce qui aboutit à des scissions mal cicatrisées par la réconciliation partielle de novembre 1920 (Union anarchiste). En outre, l'audience des libertaires dans les syndicats faiblit irrémédiablement, malgré une alliance tactique avec les communistes au sein de la CGT en 1919-1920. En 1922, les amis de Pierre Besnard, le secrétaire des Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), doivent quitter la CGT-U procommuniste ; en 1926, le lancement de la CGT-SR (« SR » pour « syndicaliste révolutionnaire ») est un fiasco. La séparation des « synthésistes » (S. Faure) et des « communistes libertaires » en 1927 disperse un peu plus les forces. L'unité retrouvée après le 6 février 1934 est éphémère, tout comme le Front révolutionnaire qui entend concurrencer le Front populaire. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le pacifisme dévoyé de quelques-uns et l'attentisme de la plupart provoquent de nouveaux déchirements.

Après la guerre, les militants essaient de s'organiser sur d'autres bases. Mais la création, en 1944, de la Fédération anarchiste (FA), transformée, en 1953, en Fédération communiste libertaire (FCL), plus centralisée et plus ouverte aux influences marxistes, ne permet pas de reprise notable. Sur le terrain syndical, la fondation, en 1946, de la Confédération nationale du travail (CNT) ne produit pas non plus les effets escomptés. Au cours des années soixante, ce sont de petites formations - comme le Groupe rouge et noir, ou bien le Mouvement du 22 mars, de Daniel Cohn-Bendit - qui se font entendre. Depuis, le mouvement reste divisé. Le groupe le plus important, la Fédération anarchiste, ne compte que quelques milliers d'adhérents. L'audience d'artistes ou de penseurs exprimant la révolte individuelle et la recherche d'une fraternité consentie reste cependant réelle, quoique diffuse.

anarcho-syndicalisme,

courant du syndicalisme français apparu à la fin du XIXe siècle avec l'essor du mouvement des bourses du travail, et incarné par la CGT-unifiée de 1902 (congrès de Montpellier) à 1914.

Les historiens préfèrent souvent à ce terme celui de « syndicalisme révolutionnaire » (retenu par les acteurs eux-mêmes) ou encore de « syndicalisme d'action directe ». « Anarcho-syndicalisme » relève davantage d'un registre polémique cultivé par les marxistes avant la guerre de 1914, et par les communistes après 1920.

À la base de la doctrine syndicaliste révolutionnaire, qui n'a d'ailleurs jamais été formalisée en un dogme, figure la critique de l'idéologie social-démocrate. Les syndicalistes révolutionnaires défendent l'idée d'une autonomie ouvrière et s'opposent à toute forme de collaboration avec les partis politiques, à commencer par les partis socialistes. La révolution prolétarienne qui abolira le régime du salariat ne peut résulter que d'un mouvement « par le bas », à l'opposé de toute stratégie qui nécessiterait une prise du pouvoir d'État ; d'où l'attachement manifesté aux institutions telles les syndicats, les coopératives ou les bourses du travail, garantes d'une émancipation autonome de la classe ouvrière. L'accent est également mis sur la grève générale, « révolution de partout et de nulle part » (Fernand Pelloutier), en tant que meilleur outil de la révolution. Cette sensibilité trouve l'une de ses expressions les plus nettes dans la Charte d'Amiens de la CGT (1906).

Il serait néanmoins inexact d'identifier le syndicalisme révolutionnaire à une doctrine. Georges Sorel passe, à tort, pour son théoricien. Le syndicalisme d'action directe apparaît d'abord comme un ensemble de pratiques ouvrières et syndicales. Ses meilleurs représentants - Fernand Pelloutier, ou Alphonse Merrheim, Victor Griffuelhes et Pierre Monatte (fondateurs de la Vie ouvrière) - sont avant tout des hommes d'action et des organisateurs, d'ailleurs fort responsables, bien éloignés de l'image d'agitateurs irréfléchis. Leur entreprise peut être perçue comme une tentative pour résister à l'intégration politique dont la classe ouvrière était l'objet de la part de la bourgeoisie républicaine. Leur action ne doit pas investir le terrain politique : il faut qu'elle demeure au niveau économique. Leur méfiance à l'égard de l'État les a ainsi fait passer pour des anarchistes.

Les belles années du syndicalisme révolutionnaire s'étendent de 1902 à 1908. Il s'affirme alors comme le courant dominant au sein du mouvement ouvrier, et anime l'esprit de plusieurs grèves qui secouent la France prospère de ce début de siècle. Au congrès de Bourges de la CGT (1904), ses représentants font adopter (malgré les réticences de Griffuelhes, alors secrétaire de la confédération) le principe d'une grève générale pour le 1er mai 1906, afin d'obtenir la « journée de huit heures ». L'échec de ce mouvement, l'essoufflement des grèves et l'arrivée de Clemenceau à la présidence du Conseil (octobre 1906-juillet 1909), qui engage une lutte sans merci contre le syndicalisme révolutionnaire, affaiblissent durablement cette culture syndicale.