Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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fêtes (suite)

L'inversion est aussi contestation, que ce soit durant la fête des fous ou le charivari. Le carnaval de Romans offre ainsi l'exemple le mieux connu d'une fête qui porte les antagonismes à leur point de rupture et fait exploser la révolte. Mais, dans la plupart des cas, l'épisode festif reste cantonné dans les limites que chacun lui accorde, à commencer par les autorités : une thèse souvent admise en fait une sorte d'exutoire qui fortifierait la société dans ses structures habituelles, puisque, une fois la catharsis passée, les risques de remise en cause seraient diminués.

Spécificités de la fête médiévale.

• Le rapprochement avec les fêtes de la Rome antique est parfois invoqué pour expliquer ces caractères. La fête des fous en dériverait, du fait des clercs qui lisent dans les Saturnales de Macrobe le récit de ces fêtes antiques où les maîtres servaient les esclaves. La filiation est aussi envisagée pour les fêtes de printemps, qui perpétueraient les jeux offerts à Cérès ou à Flore. Ne considérer le système festif que comme la trace obscurcie des religions antérieures à l'évangélisation serait pourtant une grave erreur. L'empreinte chrétienne et médiévale est considérable, dans le vocabulaire, les formes de sociabilité des abbayes et royaumes, ou dans le lien essentiel entre Carnaval et Carême. Surtout, à force de renvoyer à un passé si lointain, on se dispense de montrer en quoi le système festif répond d'abord aux besoins de ceux qui le vivent.

Il permet d'abord à ceux qui peinent de s'évader du quotidien. Fêter Saint-Pansard en mangeant et en buvant plus que de raison, quand on vient de tuer le cochon, voilà qui rompt avec la soupe et le pain des jours de frugalité. Évasion aussi par les jeux et la danse - dans laquelle le clergé voit l'occasion de gestes « deshonnestes » et le début d'une licence que la bière ou le vin aggravent. La fête scande l'année, puisqu'à son rythme apparaissent les possibilités de rencontres et d'échanges, pour des contrats d'embauche ou des promesses de mariage. Elle est aussi un moyen de contact avec un monde extraordinaire, réel ou imaginé, pour une fois construit par le geste ou le décor : on songe aux Indiens des entrées royales de Rouen, aux géants et aux dragons qui peuplent les cortèges de Carnaval. Le théâtre permet une approche de cet univers mental : des mystères aux sotties, ce sont des spectacles attendus, suivis par des foules nombreuses.

Un moyen de régulation des pulsions.

• Cet aspect est plus subtil. Ainsi, la violence du charivari, qui peut n'être pas seulement celle de la dérision, répond à celle du barbon ou de l'étranger qui vient « marier une fille » du village ; elle contribue à maintenir un équilibre social que le caractère tardif du mariage dans la France d'Ancien Régime rendait fragile. L'abbaye de jeunesse constitue aussi un cadre pour l'apprentissage des jeunes hommes. Ses débordements remplacent d'autres violences, tels ces viols collectifs qu'on repère dans les villes du Sud-Est, à la fin du Moyen Âge. L'appartenance au groupe suppose d'ailleurs qu'on en ait accepté la règle. En ville, la transformation des abbayes en communautés à caractère militaire, sous la houlette d'un « capitaine de la jeunesse » par exemple, révèle l'importance donnée à ce contrôle de l'individu par le groupe.

La fête servirait d'exutoire : il faut pourtant se garder d'opposer un temps propre à la libération de la violence - celui des fêtes - et un temps banal, policé et non violent. La brutalité est ordinaire dans une société qui n'apprendra la civilité des mœurs qu'aux derniers siècles de l'Ancien Régime, et pour ses élites surtout. L'essentiel est peut-être ailleurs : en renversant la distribution de l'autorité, ne serait-ce que pour une durée limitée, on lui assure une continuité par-delà les hommes qui l'incarnent habituellement ; elle se trouve ainsi légitimée. L'inversion conduit à la consolidation paradoxale des structures sociales et politiques.

Par la fête, la société reconstruit ses structures et ses frontières. Chaque sortie d'une confrérie, d'une abbaye de jeunesse, valorise le groupe et renforce sa cohésion. Il n'est pas sans intérêt que dans des villages provençaux, au XVIIIe siècle, on organise des courses de jeunes, puis de vieillards, et enfin de femmes ; cas exceptionnels, car celles-ci sont habituellement écartées des abbayes de jeunesse comme des manifestations de Carnaval. Aux feux de la Saint-Jean, hommes et femmes sont présents, et ces dernières sont aussi invitées à sauter par-dessus les braises. La Toussaint permet de recréer un cercle plus large encore, en réintégrant les morts dans l'univers villageois ; elle apaise les âmes errantes pour protéger les vivants.

Les risques de conflit ne sont pas pour autant écartés. La fête n'échappe pas aux déterminations plus amples qui peuvent conduire à l'affrontement. Au contraire, parce qu'elle est occasion de rencontre et qu'elle nécessite des formes d'organisation, elle est susceptible d'accélérer la maturation des crises. En ville, la violence peut être le fait de ruraux, attirés par les réjouissances, comme de mendiants, voire de bannis autorisés à rentrer chez eux pour quelques jours. Barbouillés, cachés sous les masques, les malintentionnés échappent facilement aux autorités.

Telle qu'elle s'est construite dans la culture médiévale, la fête heurte de plus en plus les exigences de rationalité des élites. Dans le même temps, le système festif doit répondre à l'évolution des attentes de ceux qui longtemps l'ont porté.

Les fêtes contemporaines

La fête traditionnelle menacée.

• L'hostilité aux fêtes vient de loin. Si le clergé médiéval participe à la culture festive ancienne - on le constate avec la fête des fous -, en même temps, il s'efforce de noyer les restes de paganisme dans des célébrations chrétiennes. Au XVIe siècle, l'offensive vient aussi des autorités politiques : elles se soucient en Flandre de limiter le nombre des convives aux banquets des fêtes privées ! Ce siècle est surtout marqué par la Réforme, hostile aux cultes païens autant qu'aux fêtes de l'Église romaine. Là où elle triomphe, Carnaval disparaît. Pour lui faire pièce, on n'est donc pas mécontent d'user, dans un premier temps, de ces formes festives qui l'irritent. L'ambiguïté toutefois, ne dure pas. Au XVIIe siècle, l'Église combat Carnaval, et les évêques suppriment des fêtes du calendrier, ou les repoussent au prochain dimanche pour les banaliser. Les Lumières prennent le relais : continuité assez rare pour être soulignée ! La critique de la superstition vise avec une sévérité accrue ces manifestations « gothiques ». La fête décrite par les érudits est dénoncée pour l'oisiveté qu'elle engendre et pour son mauvais goût. Jean-Jacques Rousseau rêve, lui, d'une autre fête, imitée d'une Antiquité simple et vertueuse.