Apparu en Inde en 1817, le choléra atteint l'Europe via la Russie en 1829. En France, les deux plus fortes épidémies se déclenchent en 1832 et en 1854.
Dès 1820, le voyageur Moreau de Jonnès rend compte de cette maladie pestilentielle, contagieuse par les déplacements humains, et préconise le traitement par réhydratation. La Faculté accepte ses théories, et le gouvernement met en place des mesures sanitaires (lazarets, quarantaine). Mais, en 1832, le docteur Jachnichen assure que le choléra est une maladie endémique qui se transmet par voie aérienne, après évaporation d'eau infectée. Deux clans s'opposent alors : celui des « contagionnistes » et celui des « aéristes », lequel gagne à sa conception la faculté de médecine, puis le gouvernement. Dès lors, les mesures de prévention n'ont plus lieu d'être, et le commerce international peut reprendre sans entraves. Cependant, le 26 mars 1832, on dénombre quatre victimes à Paris ; le 1er avril, toute la ville est contaminée, « empoisonnée ». La révolte gronde, mais est vite réprimée. On pense mourir de la « peur bleue », ou d'une sorte de peste ; aussi les maisons infectées sont-elles marquées d'une croix blanche. Les plus aisés s'enfuient en province, tandis que les plus impécunieux achètent des lithographies de « bénédiction des maisons », ou se bardent de médailles miraculeuses (1 500 sont fabriquées en 1832, 100 millions dix ans plus tard). La presse diffuse les caricatures de Daumier (le Charivari), Steinlen (l'Assiette au beurre) ou Le Petit (le Grelot), qui représentent les symptômes cholériques de façon réaliste et le choléra lui-même sous forme d'un squelette verdâtre (1830), d'un animalcule (1870) ou d'un microbe « grossi 125 000 fois » (1885). La réclame vante le « sudatorium » ou le costume aux herbes, et incite les malades à venir à l'hôpital - où Broussais pratique des saignées, refroidit le corps avec de la glace, pendant que Magendie réchauffe ses patients au punch et leur insuffle de l'air. Les herbes, brûlées ou fumées, le camphre, le chlore - utilisé pour désinfecter rues, casernes, prisons et hôpitaux -, puis le phénol, sont employés en prévention. Des mesures prises et contrôlées par des conseils de santé publique insistent sur l'hygiène : deux douches par mois, poules et lapins interdits en appartement, voies d'eau domestiques et fontaines multipliées par quatre en neuf ans. La population s'affolant, le secret médical est alors institué, en 1854, afin de dissimuler l'ampleur de l'épidémie (les chiffres officiels sont : 102 000 morts en 1832 ; 143 000 en 1854). Dès la découverte du bacille virgule et après que Koch a administré la preuve de son mode de contagion en 1884, on asperge de phénol les voyageurs et leurs bagages ; les quarantaines sont rétablies avec efficacité dès 1887. Le choléra devient alors pour les xénophobes, en une période marquée par l'affaire Dreyfus, l'alliance franco-russe et l'expansion coloniale, une métaphore de l'étranger, qu'il soit juif, sujet du tsar, ou « indigène ».