Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Restauration (suite)

La population française connaît un accroissement rapide : la France compte 29,4 millions d'habitants en 1815 (32,6 millions en 1831), malgré une baisse sensible du taux de natalité liée à la diffusion des méthodes contraceptives. La société française demeure essentiellement rurale : 79 % des Français résident dans des localités de moins de 2 000 habitants et plus de 60 % travaillent dans l'agriculture. La Restauration soutient idéologiquement et socialement la grande propriété, en limitant notamment son fractionnement lors des successions par le biais du « majorat » (décret adopté en 1808 par Napoléon, qui rétablit partiellement les privilèges de l'héritier aîné). Principale bénéficiaire de l'indemnisation des émigrés, la noblesse maintient sa fortune et son influence dans le Bassin parisien, l'Ouest intérieur ou le Bassin aquitain. Cependant, le morcellement des terres (10 millions de cotes foncières en 1815, près de 11 millions en 1830), lié à l'application du droit successoral égalitaire du Code civil, s'accentue dans un monde paysan encore très divers, et profondément inégalitaire. La France urbaine compte peu de grandes villes : Paris, qui passe de 650 000 à 800 000 habitants de 1815 à 1830, concentre les industries de luxe et les activités commerciales et financières, de presse et d'édition ; Lyon (130 000 habitants) et son industrie de la soie, Marseille (115 000) et son port, Bordeaux, Rouen, Nantes sont les principaux pôles de développement. Dans un paysage urbain peu modifié, où coexistent quartiers aristocratiques et faubourgs misérables, étages nobles et garnis des greniers, la distance sociale entre les hommes demeure extrême, et l'indigence, les naissances illégitimes et la prostitution touchent une part considérable des populations ouvrières.

Le renouveau intellectuel

La Restauration connaît un remarquable renouvellement intellectuel et culturel. Principal soutien du régime, l'Église gallicane opère un redressement spectaculaire : le nombre des diocèses passe de 50 à 80 en 1822, les ordinations se multiplient (750 en 1815, 1 400 en 1821, 2 300 en 1830), le clergé s'accroît et rajeunit, les congrégations féminines et masculines s'étoffent ou renaissent. Le théologien et philosophe Lamennais fait l'apologie de la foi catholique et combat avec vigueur l'indifférence en matière de religion (Essai sur l'indifférence, 1817). Mais cette dynamique religieuse, relayée par l'autorité publique et ponctuée de retentissantes missions intérieures, suscite, en retour, un vif anticléricalisme. En outre, si l'analphabétisme demeure majoritaire au sud d'une ligne Saint-Malo - Genève et si la scolarisation est laissée aux initiatives locales, la liberté d'opinion stimule la presse, malgré le cautionnement et la censure : le Journal des débats des frères Bertin, la Quotidienne, la Gazette de France, le Drapeau blanc (droite) et le Constitutionnel (gauche) alimentent les discussions dans les cercles et les cafés. La Restauration se situe au carrefour des Lumières du XVIIIe siècle, prolongées par les Idéologues, et du spiritualisme du premier XIXe siècle (Maine de Biran, Jouffroy, Victor Cousin) ; tour à tour, traditionaliste avec Bonald, Maistre, Ballanche et Lamennais, libérale avec Jean-Baptiste Say, Royer-Collard, Guizot, Chateaubriand, Paul-Louis Courier et Benjamin Constant, utopique avec Saint-Simon et Fourier, elle marque un moment exceptionnel dans l'histoire de la pensée. Guizot et Augustin Thierry, Mignet et Thiers inventent l'histoire, renouvelée dans ses méthodes par la fondation de l'École des chartes (1821) ; Champollion déchiffre les hiéroglyphes ; Cuvier, Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire s'affrontent sur l'origine des espèces. Cauchy illustre la mathématique ; Fresnel, Ampère et Sadi Carnot font progresser la physique ; Gay-Lussac et Chevreul, la chimie ; Broussais, Laennec, Dupuytren et Récamier, la médecine ; Pinel et Esquirol, la psychiatrie. Les canons de la culture classique sont ébranlés par les élégies posthumes d'André Chénier (1819), les Méditations poétiques (1820) de Lamartine, les populaires Chansons de Béranger et le coup d'éclat d'Hernani (1830) de Victor Hugo : enfant tardif du grand romantisme européen, le romantisme français s'impose, porté par une nouvelle génération d'écrivains (Nodier, Lamartine, Hugo, Vigny, Balzac), tandis que la peinture s'arrache à l'esthétique néoclassique des élèves de David (Girodet, Gros, Gérard) pour enfanter les vives et sombres couleurs du Radeau de la Méduse (1819) de Géricault et des Massacres de Scio (1824) de Delacroix.

La chute du régime

C'est dans cette effervescence d'idées et d'opinions qu'il faut saisir la chute du régime. En janvier 1828, Charles X s'est résigné à un ministère de compromis dirigé par l'habile Martignac : pour apaiser l'opposition, ce dernier exclut les jésuites des petits séminaires (juin 1828), assouplit les lois sur la presse et contribue avec le comte de La Ferronnays à l'indépendance de la Grèce (traité d'Andrinople, septembre 1829). Mais le roi lui substitue, en août 1829, un ministère ultraroyaliste présidé par Polignac. L'affrontement est inévitable entre le roi et son gouvernement, déterminés à faire prévaloir la volonté de l'exécutif, et la majorité de la Chambre des députés, qui défend le principe parlementaire de la responsabilité ministérielle (interprétation libérale de la Charte). Le 2 mars 1830, soutenu par 221 députés, Royer-Collard lit une adresse de défiance au roi. En réponse, le 16 mai, Charles X dissout la Chambre et entreprend, dans le but de reconquérir l'opinion, une expédition militaire contre le dey d'Alger : la ville est occupée le 5 juillet. Mais les élections des 23 juin et 3 juillet renvoient une majorité de 274 opposants. Polignac fait alors signer au roi les quatre ordonnances du 26 juillet 1830 : elles suspendent la liberté de la presse, dissolvent la nouvelle Chambre, restreignent le droit de vote de la bourgeoisie commerçante (par l'exclusion de la patente dans le calcul du cens) et organisent de nouvelles élections. Le peuple de Paris s'insurge dès le lendemain. Au terme de violents combats (les Trois Glorieuses, 27, 28 et 29 juillet 1830), le maréchal Marmont, qui dirige l'armée royale, doit évacuer la capitale. Tandis que les libéraux, réunis autour de La Fayette, portent au pouvoir le prince Louis-Philippe d'Orléans, cousin du roi, en qualité de lieutenant général du royaume (31 juillet) puis de « roi des Français » (9 août), Charles X, réfugié à Rambouillet, abdique le 2 août 1830 en faveur de son petit-fils Henri V et reprend le chemin de l'exil. La Restauration s'achève ainsi sur une révolution qui fait triompher la Charte contre la monarchie. Le principe parlementaire et la dynamique révolutionnaire l'ont emporté sur la légitimité royale.