marine (suite)
Seignelay, fils et successeur (1683/1690) de Colbert, porte la marine à son apogée : 120 vaisseaux de 90, 100, 110 canons. Mais la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) change les données. Le stathouder de Hollande Guillaume d'Orange étant devenu roi d'Angleterre en 1689, la France affronte seule les deux premières marines du monde. Cela dans un contexte législatif et religieux qui déstabilise les marins français, souvent roturiers, calvinistes, formés à la mer dès l'enfance par un père marchand ou armateur. La création des gardes-marine en 1683, qui visait à former - à terre - les futurs officiers, la révocation de l'édit de Nantes en 1685, qui a privé la marine de ses meilleurs éléments, dont Duquesne, la grande ordonnance de 1689 qui exige de tout officier qu'il soit « né gentilhomme », sont autant de mesures pernicieuses. Aussi, dès 1690, face à la Royal Navy, Tourville ne parvient pas à exploiter sa victoire de Béveziers. Et, en 1692, s'il résiste à Barfleur, il perd 15 de ses 44 vaisseaux à La Hougue.
Les Pontchartrain, Louis (secrétaire d'État à la Marine de 1690 à 1699), puis Jérôme (de 1699 à 1715, durant la guerre de la Succession d'Espagne), tentent de revenir aux marins « nourris dans l'eau de mer et la bouteille », qu'ils préfèrent - comme Richelieu naguère - aux « chevaliers frisés ». Abandonnant la guerre d'escadre, coûteuse et jugée stérile, ils privilégient la guerre de course, qu'ils estiment plus rentable. Ils anoblissent Jean Bart (1694) et Duguay-Trouin (1709), alors que Cassard, Pointis, Ducasse s'illustrent de Carthagène des Indes (1697) à Rio de Janeiro (1711), aux côtés des flibustiers des Antilles ou des boucaniers de l'île de la Tortue.
Le creux de la vague : 1713-1763
Après la signature de la paix d'Utrecht (1713) et la mort de Louis XIV (1715), l'alliance du Régent avec l'Angleterre inaugure trois décennies de paix (1715-1744), favorables à l'essor du grand commerce maritime. Les Antilles deviennent « les îles à sucre ». La façade atlantique du royaume se développe. Bordeaux, Nantes, La Rochelle et Le Havre s'enrichissent de beaux hôtels chargés de balcons ornés de fer forgé. La traite négrière, les importations (sucre, café, coton, indiennes), font la fortune des armateurs et des négociants : les Gradis, les Bonnaffé à Bordeaux ; Roux de Corse à Marseille. D'où la jalousie de l'Angleterre. Maurepas, fils de Jérôme de Pontchartrain et son successeur de 1723 à 1749, réussit à faire face à l'« Invincible Albion » durant la guerre de la Succession d'Autriche (1744-1748). Mais les Français, même s'ils mettent du sucre et du café dans leur bol de lait matinal depuis 1750, se désintéressent de la marine. Et, si les élites tapissent leurs salons d'indiennes et de laques de Chine, boivent du thé et utilisent des chocolatières en argent, la France reste définie comme un « pré » - carré certes selon Vauban -, terme symbolique. Le Bourbon préfère la pierre (la fortification) au bois (le vaisseau). Aussi, durant la guerre de Sept Ans (1756-1763), la marine à l'abandon n'essuie-t-elle que des désastres, malgré la prise de Minorque (1756) par La Galissonnière. En 1759, elle perd son escadre du Levant au large de Lagos, puis celle du Ponant aux Cardinaux. Le traité de Paris (1763) entérine la perte du Canada. Mais, pour l'opinion « éclairée », ce ne sont là que quelques « arpents de neige » (Voltaire).
De la revanche (1763-1783) au désastre (1798-1805)
Choiseul, puis son cousin Choiseul-Praslin s'acharnent alors à reconstituer la marine française pour préparer la revanche. Ils reconstruisent des vaisseaux, obtiennent des dons du clergé, des chambres de commerce, des états provinciaux, des villes ou de simples particuliers. Ils réforment le corps (1764-1765) et l'exercent lors de l'expédition de Corse (1768-1769). Sous Louis XVI, Antoine de Sartine et le marquis de Castries remplacent la marine de Vernet par de puissantes escadres. Aux ordres du comte de Grasse et du bailli de Suffren durant la guerre d'Amérique (1778-1783), à la baie de Chesapeake et sur les côtes du Coromandel, elles contribuent à la victoire des Insurgents des treize colonies. La marine est de nouveau à son apogée : 80 vaisseaux, 80 frégates, 120 bâtiments légers, 80 000 inscrits maritimes, 1 657 officiers ; le Ville-de-Paris de Grasse (63 mètres de long, 17 de large, 120 canons) restera inégalé. Le marin est à la mode : Bougainville, rendu illustre par son tour du monde (1766-1768), le premier réalisé par un Français ; Du Couédic, héros de la Belle-Poule (1778) ; Kerguelen, explorateur et corsaire ; La Pérouse, explorateur perdu dans le Pacifique ; d'Entrecasteaux, qui part à sa recherche.
Mais, nobles de naissance ou d'apparence, 1 200 officiers émigrent après les émeutes toulonnaises et brestoises, et 128 meurent lors de l'expédition royaliste de Quiberon (1795). Si plusieurs réintègrent ultérieurement la marine, le corps est encore trop mal réorganisé pour empêcher les désastres - Aboukir (1798), Trafalgar (1805) - et même le naufrage de la Méduse (1816).
La marine contemporaine
Au XIXe siècle, les marines de guerre et de commerce changent. Le fer se substitue au bois, la vapeur au vent, les cheminées aux mâts ; Sauvage invente l'hélice (1832). Dès 1783, le bâtiment à vapeur du marquis Jouffroy d'Abbans avait remonté la Saône. En 1801, Fulton fait évoluer sur la Seine un bateau à roues. En 1823, la France met en service ses premiers vapeurs et, après la victoire de Navarin (1827), l'un d'eux se distingue dans l'expédition d'Alger avant de participer au transport (1833) de l'obélisque, de Louxor à la place de la Concorde. En 1842, les chantiers havrais d'Augustin Normand lancent le premier bâtiment à hélice : le Corse. Durant la guerre de Crimée (1855), ces bâtiments imposent leur supériorité. Après avoir imaginé (1847) le premier navire de guerre à vapeur, le Napoléon, Dupuy de Lôme construit en 1859 la première frégate cuirassée : le Gloire. La marine de Napoléon III atteint alors un nouvel apogée : en 1870, elle compte 382 unités, dont 16 vaisseaux ou frégates cuirassés, et 20 000 marins participent à la défense de Paris. Puis l'acier remplace le fer (1875), et les nouveaux bâtiments de guerre se répartissent en cuirassés, croiseurs, torpilleurs (1875), contre-torpilleurs, sous-marins (1885) et porte-avions (1910). Aux arsenaux de Brest, Toulon, Rochefort, Lorient et Cherbourg s'ajoutent ceux de Bizerte, Dakar, Saïgon.