Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
B

Blum-Viollette (projet), (suite)

Dès qu'il est connu, le projet soulève une vive indignation des Européens d'Algérie, et l'on assiste à une levée de boucliers des élus locaux. Nombre de maires et d'adjoints donnent leur démission, si bien qu'il doit être mis en sommeil, et n'est jamais discuté... Cet abandon suscite l'amertume parmi les musulmans ; et Ferhat Abbas peut prophétiser : « Faute de réformes immédiates et substantielles, [...] ce n'est pas le projet Blum-Viollette que nous enterrerons, c'est l'œuvre tout entière de la France qui sombrera. »

Bodin (Jean),

légiste et philosophe (Angers 1529 ou 1530 - Laon 1596).

 Après des études de droit à Toulouse, Jean Bodin devient avocat au parlement de Paris en 1561, puis procureur du roi à Laon. Durant les guerres de Religion, il se range du côté des « politiques », qui prônent l'unité nationale autour de la personne royale. Il s'oppose violemment aux menées de ceux qui veulent révoquer les édits de pacification.

De même que celle de Machiavel, sa réflexion est guidée par une visée pratique : étudier les sociétés du passé pour comprendre les turbulences du présent et y ouvrir des perspectives. Son premier traité, la Méthode de l'histoire (1566), propose à la fois une synthèse historique et une réflexion méthodologique. Englobant toutes les sociétés et civilisations connues, l'ouvrage est l'un des premiers à circonscrire avec rigueur le territoire propre de l'historien. L'histoire humaine y est nettement distinguée de l'histoire théologique et de l'histoire naturelle. Bodin récuse la plupart des cadres qui avaient régi cette discipline avant lui : ni la théorie des « quatre empires mondiaux » (Babylone, Perse, Grèce et Rome), ni le mythe de l'âge d'or, ni l'idée d'un plan divin inscrit dans l'histoire, ne trouvent grâce à ses yeux.

Cette attention aux faits et ce refus des spéculations hasardeuses sont encore plus nets dans le grand traité politique des Six Livres de la République (1576). Au moment où paraît l'ouvrage, Bodin est représentant du Tiers aux états généraux de Blois, et la crise religieuse qui secoue la France depuis plusieurs décennies n'est évidemment pas étrangère à la genèse de sa réflexion : la République se donne pour but de récapituler huit siècles d'histoire politique française, et de réconcilier le royaume bouleversé avec son génie séculaire. Loin de se limiter à la France, Bodin pose les bases d'une sociologie comparée des États. De cette immense entreprise, à l'érudition foisonnante, la postérité a surtout retenu la théorie de la souveraineté, absolue et perpétuelle. S'opposant à Machiavel, coupable à ses yeux d'avoir réduit la politique à sa dimension tacticienne, Bodin analyse avec une acuité remarquable les structures institutionnelles où s'incarne le principe de souveraineté d'un État, donnant la préférence, en ce qui concerne le régime, à une « monarchie harmonique », dans laquelle le roi retrouverait toute son autorité. L'auteur de la République sait tirer le parti le plus fécond de sa formation juridique et de sa culture philosophique : c'est au croisement de ces deux disciplines qu'émerge l'une des idées cardinales de la politique moderne.

Boisguilbert (Pierre Le Pesant, sieur de),

économiste, l'un des fondateurs de l'économie politique libérale (Rouen 1646 - 1714).

Issu de la petite noblesse de robe, il occupe différentes charges dans sa ville natale : président et lieutenant général du bailliage et présidial, lieutenant de police. Janséniste, formé à Port-Royal, il est très influencé par Pierre Nicole. Sensible à la grande détresse économique et sociale de sa province en une période de dépression, il conçoit de vastes projets de réforme du royaume, qu'il soumet inlassablement aux contrôleurs généraux successifs, grâce à l'appui de Vauban, dont il est proche. Boisguilbert est le premier à formuler une théorie du circuit économique, soulignant l'interdépendance de l'agriculture et de l'industrie, et des différentes classes de la société. Iconoclaste, il réfute le mercantilisme : la monnaie n'est qu'un instrument de mesure et d'échange. Les biens utiles constituent la seule richesse ; la terre et le travail en sont le fondement. L'économie repose sur la demande et l'intérêt individuel. Boisguilbert propose ainsi une théorie explicative des fluctuations économiques fondée sur les variations du produit agricole. Surtout, il dénonce vigoureusement la fiscalité - lourde, complexe et injuste - qui décourage la production et la consommation. En outre, il prône la liberté des échanges, censée permettre un retour à l'équilibre « naturel ». Mais ses livres (Détail de la France, 1695 ; le Factum de la France, 1707) sont désavoués ou condamnés. Il meurt découragé et aigri. La pertinence de ses critiques ne sera reconnue que bien plus tard.

Boissy d'Anglas (François Antoine, comte de),

homme politique (Saint-Jean-Chambre, Ardèche, 1756 - Paris 1826).

Avant la Révolution, ce protestant, avocat au parlement de Paris, déploie ses talents littéraires en tant que membre des académies de Lyon et de Nîmes, et correspondant de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres. Il est élu député aux états généraux pour la sénéchaussée d'Annonay en 1789, puis représente l'Ardèche à la Convention, où, jusqu'au 9 thermidor an II (27 juillet 1794), il intervient très peu à la tribune. Ses écrits des premiers temps révolutionnaires ne correspondent pas à l'image de modéré que l'historiographie lui a faite : en 1791, contre l'abbé Raynal et avec Robespierre, il soutient la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789), ainsi que ce « moyen violent » qu'est l'insurrection, puisque l'on doit « tout détruire afin de tout recréer ».

Après la chute des robespierristes, il devient l'une des figures centrales du « moment thermidorien ». Membre du Comité de salut public (décembre 1794), il est président de la Convention lors de la dernière grande insurrection populaire du 1er prairial an III (20 mai 1795). C'est lui qui, dit-on, salue respectueusement la tête tranchée du député Féraud ; un geste de courage qui lui vaut, au XIXe siècle, une grande popularité auprès des conservateurs. En 1795, il reprend les arguments de Raynal, qu'il a pourtant combattus quatre ans plus tôt. En l'an III, il ne s'agit plus, pour lui, de défendre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais d'en stigmatiser le danger : le peuple risque à tout moment de réclamer ses droits et de plonger l'État dans l'anarchie, dont la période de la Terreur est, à ses yeux, emblématique. Boissy d'Anglas est l'un des auteurs de la Constitution de 1795, substituée à celle de 1793 par un coup d'État parlementaire, et dont il résume l'enjeu dans cette phrase demeurée célèbre : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l'ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l'état de nature. » Ce n'est plus le droit naturel à l'égalité qui doit gouverner les rapports entre citoyens dans l'état social, mais la propriété. Le suffrage censitaire est rétabli ; la référence aux droits naturels, jugée subversive, disparaît de la Déclaration. Parallèlement à cette justification d'une République des propriétaires, il développe une conception colonialiste des rapports d'échange. Élu au Conseil des Cinq-Cents, membre du Tribunat, sénateur et comte d'Empire, il se rallie ensuite à la Restauration.