L'affaire des possédées de Loudun (1632-1634) marque un tournant dans l'histoire des diableries de la France d'Ancien Régime.
S'inscrivant dans la grande vague des possessions démoniaques (telles celles d'Aix-en-Provence, 1609-1611, de Louviers, 1642-1647, d'Auxonne, 1658-1663), elle suscite une littérature polémique sans égal, révélant l'essoufflement de la croyance en l'omnipotence de Satan parmi les hommes. À la différence de la sorcellerie rurale, très présente mais « sauvage », la possession démoniaque surgit au sein de la notabilité urbaine et dénote une curiosité pour des victimes singulières.
Cité où coexistent réformés et catholiques, et où le gouverneur Jean d'Armagnac oppose une forte résistance à Richelieu, la ville de Loudun est frappée par une épidémie de peste en 1632. C'est dans ce contexte troublé que cette affaire de possession va donner lieu à un imbroglio politico-religieux. En septembre 1632, Jeanne des Anges, prieure au couvent des ursulines de la ville, dit voir apparaître des fantômes et une boule noire traversant le réfectoire. Des exorcismes sont alors autorisés. À cet effet, un véritable théâtre religieux se déploie : les possédées, qui se multiplient dans le couvent, sont présentées aux prêtres afin d'être délivrées du démon ; convulsions extraordinaires, proférations d'injures à connotations sexuelles et performances surnaturelles, telles que la lévitation et la maîtrise des langues bibliques que ces jeunes filles sont censées ignorer, ponctuent les séances publiques. Le curé de l'église Saint-Pierre et chanoine de Sainte-Croix, Urbain Grandier, est accusé par les couventines de les avoir envoûtées. Certes, ce brillant orateur, séducteur et auteur d'un traité du célibat, avait vexé les ursulines en refusant de devenir leur confesseur. Mais le juge et commissaire royal Laubardemont voit aussi en lui le gardien des privilèges locaux, et le soupçonne d'avoir écrit un pamphlet contre son maître Richelieu. Le curé est mis à la question, un « pacte sanglant » est découvert, et les chirurgiens prétendent trouver sur lui la marque du sorcier - une marque réputée être imposée par le diable sur une partie très localisée du corps qui reste insensible malgré les tourments infligés. Bien que protestant de son innocence, Grandier est brûlé vif sur la place de Loudun, le 18 août 1634.
À l'exception de Jeanne des Anges, les possédées retombent alors dans l'anonymat. Prise en charge par le mystique Jean-Jacques Surin, la prieure est enfin guérie miraculeusement en 1637 : les noms de Joseph et de Marie se seraient en effet ins-crits en stigmates sur sa main, d'où auraient été extirpés les derniers diables. Dès lors, elle devient un « miracle ambulant », accueillie par Anne d'Autriche elle-même, jusqu'au jour où un fidèle, par mégarde, efface une partie du « M » du mot Marie !
L'affaire de Loudun fut un symptôme spectaculaire des transformations de la société baroque. En effet, désormais, Satan est aussi un instrument politique au service de la raison d'État. En outre, la pastorale tridentine est discréditée par un discours naturaliste (celui des « antipossessionnistes »), qui attribue les manifestations des possédés à des causes médicales. Urbain Grandier fut ainsi le dernier martyr sorcier.