peur. (suite)
Parallèlement, un dispositif intellectuel beaucoup plus élaboré se construit, qui inscrit ces pratiques élémentaires dans une vision d'ensemble du destin de l'homme. L'espoir en un Au-delà de mieux en mieux défini, la relativisation d'une vie terrestre considérée comme le simple passage dans une « vallée de larmes » donne au fidèle une espérance à la mesure de sa peur. La patiente pédagogie de la culpabilité de l'homme, née du péché originel, vient justifier cette conception du monde. Elle culmine, chez les catholiques, avec le recours à la confession, qui s'impose à partir du XVIIe siècle seulement, une partie des catholiques et les protestants plaçant plus largement leurs espoirs dans la justice et parfois la bonté divines. Cette explication cohérente et raisonnable de la condition humaine, à peu près achevée au XVIe siècle, au moment des Réformes catholique et protestante, est diffusée de plus en plus efficacement à la masse des fidèles. Elle se situe sur le même plan que l'autre réponse intellectuelle, fondée sur la raison et la science, affirmée pour l'essentiel à partir du XVIIIe siècle et répandue ensuite, en particulier par le biais du système scolaire. Le parallèle, peut-être choquant, explique cependant qu'une partie des Français d'aujourd'hui puissent recourir en même temps à l'une et à l'autre de ces réponses à nos peurs. La vogue de systèmes spirituels souvent totalement irrationnels, exprimée par le phénomène sectaire, rappelle toutefois qu'à ce niveau aussi les réponses sont le fruit d'une construction toujours difficile et sans cesse renouvelée.
De l'antijudaïsme au « règne de la Raison et de la Science », des incendiaires parisiens de 1524 à la xénophobie, de la croyance au miracle à l'abandon à Dieu, le risque est grand de faire de la peur une sorte de moteur des sociétés, alors qu'elle en exprime simplement les réalités. Il est cependant probable que la qualité des réponses à la peur permet d'apprécier le niveau des civilisations et, à l'échelle de l'individu, la qualité d'une culture.