Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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décolonisation (suite)

De l'Union française à la Communauté

Bien que la guerre se solde par la perte de l'Indochine, de la Syrie et du Liban, non compensée par l'occupation provisoire du Fezzan libyen, le GPRF croit pouvoir organiser durablement l'Union française. L'Assemblée nationale constituante élue le 21 octobre 1945 comporte, pour la première fois, une représentation de tous les territoires d'outre-mer (divisée, paradoxalement, en deux collèges égaux, celui des citoyens et celui des « non-citoyens », sauf dans les vieilles colonies où existe le suffrage universel dans un collège unique), à l'exception de l'Indochine, dont la reconquête est inachevée. L'Assemblée, orientée très à gauche, vote des mesures égalitaires (transformation des vieilles colonies en départements d'outre-mer, abolition du travail forcé, citoyenneté pour tous les habitants de l'empire), et adopte une définition très « assimilationniste » de l'Union française ; mais son projet de Constitution est rejeté par le référendum du 5 mai 1946. La seconde Constituante, élue en juin 1946, voit s'affronter les députés des deuxièmes collèges d'outre-mer, qui revendiquent le droit pour chaque territoire de choisir entre l'assimilation, l'autonomie et l'indépendance, et les défenseurs de la souveraineté française - soutenus par une déclaration du général de Gaulle, le 27 août 1946. Le gouvernement de Georges Bidault impose une solution de compromis, ratifiée, en même temps que la Constitution, par le référendum du 13 octobre 1946, auquel le collège des « non-citoyens » n'est pas admis à participer.

L'Union française est beaucoup plus unitaire que fédéraliste, sans être pour autant égalitaire. Le fédéralisme ne concerne que les relations entre la République française et les États associés d'Indochine ; les organes fédéraux (présidence, Haut Conseil, Assemblée de l'Union française) ne se distinguent pas nettement des institutions de la République française. L'unité de la République est pourtant battue en brèche par la sous-représentation des territoires d'outre-mer à l'Assemblée nationale, et par le maintien des lois électorales spéciales qui permettent la sous-représentation de la majorité de la population d'un territoire au moyen du double collège.

Ce fragile édifice est ébranlé par une série de guerres coloniales ininterrompues, de 1946 à 1962. La première, la guerre d'Indochine, a débuté, dès septembre 1945, par l'envoi d'un corps expéditionnaire chargé de rétablir partout l'autorité française, et qui s'est heurté à la République démocratique du Viêt Nam, proclamée, le 2 septembre 1945, par un front national à direction communiste, le Viêt-minh. Après les accords du 6 mars 1946 reconnaissant le Viêt Nam comme un État libre dans le cadre de la Fédération indochinoise et de l'Union française, le conflit reprend le 19 décembre 1946. Cette guerre de reconquête coloniale - doublée d'une guerre idéologique - s'insère de plus en plus dans la guerre froide entre l'Est et l'Ouest. Elle oblige la France à transmettre progressivement ses pouvoirs aux États associés (Viêt Nam anticommuniste de l'empereur Bao Dai, Cambodge et Laos), et à internationaliser la recherche d'une solution diplomatique, à la conférence de Genève (mars-juillet 1954), qui ne peut lui éviter la défaite de Diên Biên Phu (7 mai 1954). La guerre d'Indochine, qui a coûté au camp français 92 000 morts et 114 000 blessés de toutes origines, a profondément humilié et mécontenté l'armée, balayé l'influence de l'ancienne métropole en Indochine, rendu caduque la Constitution de l'Union française, et encouragé les mouvements nationalistes.

Plus tardifs et moins sanglants, des troubles éclatent, en janvier 1952 en Tunisie, et en août 1953 au Maroc. Leurs causes sont les mêmes : les souverains et les partis nationalistes veulent la restitution de l'autonomie interne, puis de l'indépendance, alors que l'autorité française entend maintenir une cosouveraineté franco-tunisienne et franco-marocaine. Pour éviter que les troubles ne dégénèrent en une véritable guerre d'Afrique du Nord (fomentée par le Comité de libération du Maghreb arabe, installé au Caire), Pierre Mendès France, président du Conseil, renoue en juillet 1954 les négociations franco-tunisiennes sur la base de l'autonomie interne ; son successeur, Edgar Faure, les fait aboutir, en avril 1955 ; il règle plus difficilement la crise marocaine, en rappelant d'exil le sultan Mohammed Ben Youssef (déposé par ses adversaires marocains, avec l'appui de la résidence générale), et en admettant le principe de « l'indépendance dans l'interdépendance ». En mars 1956, le gouvernement de Guy Mollet reconnaît l'indépendance totale du Maroc, puis de la Tunisie.

La guerre d'Algérie constitue l'épisode majeur et décisif de la décolonisation française. En sept ans et demi de guérilla et de terrorisme, elle a retourné le consensus colonial de la majorité de l'opinion métropolitaine en un consensus « décolonisateur ». Elle a aussi favorisé indirectement l'émancipation pacifique de l'Afrique noire, par des mesures législatives et constitutionnelles censées servir également au règlement du problème algérien.

Après la répression de l'insurrection malgache de mars 1947 (qui a fait environ 12 000 morts) et l'agitation du Rassemblement démocratique africain (RDA) apparenté au Parti communiste de 1946 à 1950, le ralliement du président du RDA Félix Houphouët-Boigny à la coopération avec les autorités apaise la vie politique dans presque tous les territoires africains, à l'exception du Cameroun, où l'Union des populations du Cameroun (UPC) poursuit une insurrection dans les régions côtières de 1955 à 1960, et au-delà. La loi-cadre Defferre du 23 juin 1956 (inspirée par le ministre d'État Houphouët-Boigny) dote les territoires d'outre-mer d'assemblées territoriales élues au suffrage universel par un collège unique, qui désignent un conseil de gouvernement présidé par le représentant de la République française, mais dont le vrai chef est le vice-président élu. Ce texte - qui inspire les dispositions de la loi-cadre sur l'Algérie votée le 31 janvier 1958 - autorise le transfert du pouvoir local aux partis africains, et prépare la dislocation des fédérations de territoires (A-OF et A-ÉF).