Durant des siècles, la France, pays riche, agricole et terrien, n'a guère incité les Français à courir des risques immenses sur des mers inconnues. Partout, les naufrages, pirates et autres « fortunes de mer » attendaient ceux des marins qui avaient résisté au scorbut. À l'Équateur, disait-on, l'eau se mettait à bouillir. Ailleurs, des pierres et îles aimantées attiraient les clous des coques des navires ! Alors, les sujets du Très-Chrétien boudèrent longtemps les espaces maritimes, à l'exception de quelques individus. Il fallut attendre le XVIIe siècle pour que se constitue une véritable marine, qui allait connaître des fortunes diverses.
La France tourne le dos à la mer
Au Moyen Âge, sous les Capétiens, les ports tels Marseille (Massilia), Toulon (Telo Martius), Nice (Nicaea), ou Fréjus (Forum Julii), créés par les Grecs et les Romains. Les provinces littorales et leurs ports ne seront en effet que tardivement rattachés à la couronne : la Guyenne en 1472, avec Bordeaux et Brouage, la Provence en 1481, avec Toulon et Marseille, la Bretagne en 1491, avec Brest et Saint-Malo. Même si Louis IX crée un amiral de France ayant autorité sur les côtes qui sont du ressort du parlement de Paris (Normandie et Picardie), même si le roi se rend en Égypte et à Tunis, où il trouve la mort en 1270, même si quelques nefs appareillent d'Aigues-Mortes, au pied de la tour de Constance, les grandes puissances maritimes sont alors les Républiques méditerranéennes, Gênes et Venise. Certes, Philippe le Bel installe à Rouen l'arsenal du « clos des Galées » (1294) et la France s'engage au début de la guerre de Cent Ans dans la bataille navale de L'Écluse (1340) - qui se termine par une lourde défaite. Mais, malgré les croisades, le pays tourne encore le dos à la mer.
Au XVe siècle, ce sont les Portugais qui ouvrent la période des Grandes Découvertes : en 1415, ils sont à Ceuta ; en 1434, au cap Bojador ; en 1498, à Calicut. Ils inventent la caravelle (vers 1440), et Colomb ayant découvert l'Amérique (1492), la mer est aux Ibériques : véritable partage du monde, entériné par le pape Alexandre VI et confirmé par le traité de Tordesillas en 1494.
Quelques Français se lancent toutefois sur les mers : un Dieppois, Jean Ango (vers 1480-1551), s'enrichit en Afrique et aux Indes ; un Malouin, Jacques Cartier (1491-vers 1557), prend possession en 1534 de la Nouvelle-France (Canada) ; un Florentin, Giovanni da Verrazzano, passe au service de François Ier, qui crée Le Havre de Grâce en 1517 à l'embouchure de la Seine. Des pêcheurs basques, des navigateurs dieppois, quelques corsaires malouins, s'aventurent vers le Saint-Laurent, Terre-Neuve, l'Acadie. Si on relève la présence de Français à bord des navires de Magellan lors du premier tour du monde (1519-1521), leurs compatriotes du XVIe siècle restent des terriens, hormis de rares exceptions (Villegagnon, qui tenta de fonder une colonie au Brésil). En fait, les amiraux de France naviguent peu. Ce sont de grands seigneurs impliqués dans des combats terrestres - tel Bonnivet, tué à Pavie (1525) -, dans les guerres de Religion - tel Coligny, victime de la Saint-Barthélemy (1572) - ou dans les troubles de la Ligue (1588). Les quatre amirautés (de France, Guyenne, Bretagne et Provence) sont avant tout des enjeux de pouvoir. Ainsi, à partir de 1563, les Guises, ligueurs et généraux des galères, s'acharnent contre Coligny, huguenot soutenu par les amiraux de Guyenne, calvinistes : Henri d'Albret, Antoine de Bourbon, puis son fils Henri de Navarre, futur Henri IV. De ce fait, en 1589, le nouveau roi hérite d'un littoral ruiné et sa flotte de guerre ne compte plus qu'un seul vaisseau. Certes, il fortifie Toulon grâce à la dot de Marie de Médicis, mais la marine n'a guère d'importance en France et, si Drake, Raleigh et Frobisher illustrent le règne d'Élisabeth Tudor qui résiste à l'Invincible Armada (1588), Sully pense toujours que « pâturage et labourage » sont les deux mamelles du royaume !