tranchées, (suite)
Le système des tranchées.
• Bien que les techniques de construction varient selon la nature des terrains rencontrés, les réseaux de tranchées sont organisés partout de manière identique : une première position composée de plusieurs lignes de tranchées espacées de quelques centaines de mètres, une deuxième position située à quelques kilomètres à l'arrière, où l'on essaie, quand le terrain le permet (comme au Chemin des Dames ou dans la région de Noyon), d'utiliser grottes et « creutes » qui fournissent des abris plus sûrs, pour aménager des postes de secours ou même de véritables casernements. Les différentes lignes sont reliées par des boyaux de communication, tous les tracés étant sinueux afin d'arrêter le cours des obus. Ces tranchées, profondes de 2 à 3 mètres, larges de 50 à 80 centimètres, menacent de s'ébouler et sont perpétuellement boueuses, d'où la mise en place d'étais en bois sur les parois et de caillebotis sur le sol. Entre les deux réseaux parallèles creusés par les belligérants, un no man's land, parfois extrêmement étroit (les soldats peuvent même s'entendre, s'observer), est recouvert de gigantesques amas de fil de fer barbelé plus ou moins déroulé.
L'essentiel du front est stable, jusqu'au repli stratégique des Allemands en Picardie, en 1917 : les tranchées sont, par secteurs, prises et reprises, modifiées, adaptées, au gré des décisions des états-majors - tenter des percées ou user l'ennemi. Elles sont repérées par les aviateurs, qui les photographient en permanence.
La vie quotidienne.
• Les soldats ne montent en première ligne que pour combattre, y vivant alors plusieurs jours de suite, sans eau pour se laver et parfois pour boire, dépendant de l'arrivée des « roulantes » pour se ravitailler, la plupart du temps sans courrier, soumis à la saleté, aux poux, aux odeurs des charniers et des déjections. Les tranchées françaises et anglaises sont en outre généralement moins bien équipées que celles des Allemands, qui sont, elles, quelquefois maçonnées. Mais tous les soldats sont en permanence sous le feu de l'artillerie et la menace des mines placées sous les tranchées. Les montées en lignes, ou relèves, comptent certainement parmi les plus terribles moments : trajets de nuit, avec 30 kilos de paquetage sur le dos, à travers les boyaux boueux. « Il y a des veines rouges sur cette flaque de boue. C'est le sang d'un blessé. L'enfer n'est pas du feu. Ce ne serait pas le comble de la souffrance. L'enfer, c'est la boue. » (le Bochofage, journal de tranchée.)
Le symbole.
• Si les tranchées ont pris une telle importance, au point de devenir le symbole même de la Grande Guerre, c'est qu'elles sont directement liées à la perception du conflit, que les différents belligérants considèrent comme une défense du sol. Cela est particulièrement vrai pour les Français, dont le sol même a été profané par l'invasion et l'occupation allemandes. S'y enfoncer, c'est doublement le sacraliser. La tranchée est sacrée parce qu'elle est le lieu de la mort des soldats, dont les corps servent parfois de protection parmi les sacs de terre, parce qu'elle est le lieu de l'engagement physique et moral pour la patrie, engagement qui prend bien souvent une connotation de ferveur quasi religieuse : pour le capitaine Dupouey, ne s'agit-il pas « de la longue ligne mystique où coule tant de sang » ?
Les tranchées sont aussi le lieu d'une redoutable violence d'individu à individu, quand les égorgeurs (ou nettoyeurs) utilisent leurs matraques ou leurs couteaux contre les ennemis. Lieux de la souffrance extrême, les tranchées sont encore celui de la haine extrême : c'est là que les combattants « tiennent », sur cette frontière du patriotisme et de la mort.