Alsace, (suite)
Mais, en 1914, le comportement des armées à l'égard des civils dresse les Alsaciens contre le Reich et annule les effets de la dynamique intégratrice. Accueilli avec ferveur en 1918, le retour des Français ne débouche pas moins sur une incompréhension réciproque. Le culte de l'Alsace-Lorraine ayant constitué, pendant près d'un demi-siècle, le ciment de la IIIe République et du patriotisme, les Français n'ont cessé de percevoir les « provinces perdues » comme deux orphelines guettant le retour de leur mère. Mais les Alsaciens et les institutions qui régissent leur vie quotidienne ont changé dans l'intervalle. Paris évite donc de toucher au « droit local », mélange de textes d'avant 1871, souvent abrogés en France, et de textes votés après l'annexion. Reste que la substitution de fonctionnaires de l'« intérieur » aux autochtones, l'imposition de la langue française - désormais ignorée de presque tous - et diverses mesures pénalisantes provoquent un indéniable malaise, qui se transforme en rébellion des catholiques, lesquels veulent croire que le Concordat et le statut confessionnel de l'école sont menacés.
Des courants autonomistes de toutes nuances prennent le relais : traditionalisme catholique, communisme autonomiste, mouvements régionalistes attachés à la langue allemande, jusqu'à un extrémisme séparatiste et pronazi qui fournit le contingent des ralliés en 1940, au moment de l'annexion de facto de l'Alsace au IIIe Reich. Ayant promis de germaniser la population en l'espace de dix ans, le gauleiter de Bade-Alsace, Robert Wagner, fait régner la terreur. Ce n'est pas la simple collaboration qui est exigée, mais l'adhésion sous peine de sanction : d'où l'élimination de tous les signes qui rappellent la France, y compris les prénoms et patronymes, qui sont germanisés. Une résistance très précoce s'organise, que l'incorporation forcée dans les armées allemandes, à partir d'août 1942, ne fait qu'intensifier. Exécutions et emprisonnements dans les camps se multiplient. En additionnant les victimes de la Résistance et des combats de la Libération aux 25 000 à 30 000 morts ou disparus parmi les 105 000 enrôlés de force (les « malgré-nous »), on obtient un taux de victimes de guerre bien supérieur à celui des autres provinces françaises. La libération n'est définitive qu'en mars 1945. Les exactions nazies ont rendu plus facile la réintégration de l'Alsace dans l'ensemble français.
L'Alsace au carrefour de l'Europe.
• Après la Seconde Guerre mondiale, l'Alsace connaît un remarquable essor industriel lié à sa situation de carrefour : routes, réseau ferré et voies navigables assurent l'implantation des sites selon un axe européen qui va de Karlsruhe à Bâle. Malgré un déclin qui frappe aujourd'hui les vallées vosgiennes, la situation de l'emploi demeure moins dramatique que dans le reste du pays, du fait des travailleurs frontaliers qui exercent leur profession en Suisse ou en Allemagne. Région forte en dépit de la crise, l'Alsace actuelle est tiraillée entre une vocation européenne - Strasbourg est le siège du Parlement européen et Conseil de l'Europe - et un repli identitaire, dont témoigne, aux scrutins présidentiels de 1995 et de 2002, le taux élevé de suffrages en faveur du candidat du Front national. Crispations autoritaires et ouverture à des échanges transnationaux indiquent, sur des modes opposés, que l'Alsace continue de tracer sa voie en cherchant à dépasser le cadre français, voire à s'en détourner. L'Alsace demeure donc bien une région d'entre-deux.