Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

cathares. (suite)

Qui sont les cathares ?

Le catharisme, hérésie des élites urbaines.

• Nous avons évoqué les raisons pour lesquelles l'ampleur du catharisme a été surestimée par ceux qui essayaient de justifier la répression. L'analyse minutieuse des archives inquisitoriales permet une approche de la sociologie de l'hérésie. Tous les chiffres concordent : à Béziers, en 1209, au plus fort de l'influence du catharisme, celui-ci concerne environ un dixième de la population. Mêmes proportions à Toulouse, vers 1260, et à Albi, à l'extrême fin du siècle : moins de 10 % des habitants sont des adeptes.

Certes, on trouve également des petites villes fortifiées (les castra) où, dans le sillage de lignages seigneuriaux, une part plus importante de la population est touchée par l'hérésie (ainsi du castrum de Montréal, près de Carcassonne). Mais le phénomène essentiel se situe ailleurs. Comme l'écrit l'historien Jean-Louis Biget, « le catharisme est la religion des dominants, non la religion dominante ».

Pessimisme cathare et crise de la chevalerie.

• Dans cette région fortement urbanisée qu'est le midi de la France, deux groupes sociaux forment l'élite citadine : les chevaliers et les bourgeois enrichis par le commerce, le change et la finance. Les premiers sont souvent endettés auprès des seconds, mais tous partagent un certain malaise, auquel le catharisme tente de répondre. La petite chevalerie constitue l'une des « clientèles » privilégiées de l'hérésie. On peut penser que le pessimisme fondamental du catharisme (qui rejette le monde en tant que création du démon) coïncide avec les problèmes existentiels de ces chevaliers, en proie à de graves difficultés économiques dès le premier tiers du XIIIe siècle. L'appauvrissement de certains d'entre eux est sans doute dû aux spécificités des structures seigneuriales méridionales, caractérisées par le morcellement des patrimoines, mais aussi aux effets de la réforme grégorienne : les clercs ont réussi à imposer à la petite noblesse laïque la restitution des dîmes, qui constituent pourtant une ressource essentielle, au moment où s'effritent les revenus seigneuriaux. Voilà certainement le motif d'un anticléricalisme qui trouve matière à s'exprimer dans l'hérésie. Mais on ne doit pas imaginer que l'ensemble de la chevalerie verse, en bloc, dans le catharisme : certains clans nobiliaires restent attachés à l'orthodoxie, renforcent leurs liens avec les cisterciens, et s'engagent avec vigueur dans la lutte antihérétique. Cette dernière - qui n'est pas, comme nous l'avons souligné, un affrontement entre le Nord et le Midi - déchire les lignages, faisant peut-être rejouer d'anciens antagonismes.

Les impasses spirituelles de la bourgeoisie urbaine.

•  Si la chevalerie méridionale ne possède plus la puissance sociale qui correspond à son état, la bourgeoisie urbaine, pour sa part, rencontre une situation inverse : sa richesse économique ne s'accompagne pas d'une reconnaissance sociale. Sans doute, les nouvelles élites urbaines sont-elles porteuses d'une vision du monde à laquelle l'Église ne sait pas encore répondre, alors que le dogme catholique les pousse vers des impasses spirituelles sur deux sujets sensibles : le sexe et l'argent. En recourant au contrôle des naissances, en pratiquant les métiers du négoce (où le prêt à intérêt joue un rôle essentiel), la bourgeoisie urbaine va, en effet, au-devant de deux interdits religieux fondamentaux.

Sur ces sujets, le catharisme, qui impose peu de règles de comportement, lève l'angoisse du péché. Mieux : il réconcilie la foi avec l'esprit de profit. Puisque la « matière » est mauvaise, on ne doit exercer aucune activité susceptible de l'accroître, ce qui ferait progresser l'esprit du mal (d'où la dénonciation de l'agriculture). Le commerce - qui ne crée rien de matériel - et l'artisanat - activité de transformation - sont donc valorisés par la spiritualité cathare.

L'extinction du catharisme

Confrontée à une hérésie aussi radicale, l'Église - qui va mettre un certain temps à réagir efficacement - dispose de deux armes : la répression et la persuasion.

Croisade et répression.

•  La papauté trouve dans le droit romain (dont l'étude connaît, en cette fin du XIIe siècle, une véritable renaissance) la justification d'un recours à la force pour exterminer les hérétiques. Se réclamant de l'exemple de saint Augustin, le pape Alexandre III en appelle à l'intervention du pouvoir séculier lors du concile de Tours, en 1163. Les cathares et leurs complices y sont menacés non seulement de peines spirituelles exécutables par le clergé (anathème et excommunication), mais aussi de sanctions exercées par les pouvoirs laïcs (prison, confiscation des biens). Cet appel à la « guerre sainte » est répété lors du concile du Latran III en 1179, puis par Innocent III en 1198.

En 1208, l'assassinat du légat Pierre de Castelnau par un chevalier de l'entourage du comte de Toulouse Raimond VI oblige le roi de France Philippe Auguste à mettre enfin à exécution ce projet de croisade mûri depuis si longtemps. Premier accusé, le comte de Toulouse se repent publiquement et jure fidélité à l'Église, ce qui a pour effet de détourner les vengeances royale et pontificale vers l'un de ses mauvais vassaux, Raimond Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers. Au cours de cette « croisade des albigeois », la soif de conquête l'emporte sans doute sur la lutte antihérétique. La prise de Béziers, en 1209, durant laquelle les croisés massacrent une partie des habitants - fait exceptionnel dans la guerre au Moyen Âge - et, surtout, la bataille de Muret, en 1213, entraînent la conquête de la vicomté des Trencavel. Un petit noble d'Île-de-France, Simon de Montfort, est placé à la tête de cette croisade, dont la brutalité s'explique sans doute moins par l'hostilité du Nord envers le Midi (parmi les croisés figurent nombre de Languedociens) que par la rancœur de la chevalerie à l'égard du monde des villes. Cette fureur « urbanicide » s'abat donc sur Béziers, nouvelle Babylone sur laquelle les chevaliers - dont beaucoup sont revenus « frustrés de croisade » après le détournement de l'expédition de 1204 vers Constantinople - assouvissent leur désir de revanche.