Louvre (suite)
Ce n'est que sous le Second Empire que le « grand dessein » trouve son accomplissement. Le préalable indispensable en est la destruction du quartier du Louvre, qui, abandonné par les élites sociales, est alors pauvre et vétuste. L'opération, dirigée par le préfet Haussmann, se déroule sur quelques mois, en 1852, et les travaux du palais sont menés très rapidement. En cinq ans, Visconti (qui meurt fin 1853), puis Lefuel en réalisent l'essentiel. L'aile nord est achevée, l'aile sud doublée, et Lefuel reconstruit totalement le pavillon de Flore et la partie ouest de la Grande Galerie. Les bâtiments sont disposés de façon à masquer les ruptures de symétrie et de parallélisme. L'ensemble est homogénéisé, en particulier le décor. Visconti se veut avant tout serviteur du monument tel qu'il existe déjà. Lefuel en revanche, s'il reste fidèle aux canons architecturaux classiques, fait preuve d'une véritable obsession décorative. Motifs, statues, reliefs, envahissent les façades - y compris l'ancien Louvre sur la cour Napoléon -, avec l'approbation des souverains commanditaires. Avec les grands travaux du XIXe siècle, c'est le lieu de pouvoir qui s'agrandit et non le musée, qui n'est guère concerné. Les tourmentes politiques pèsent d'ailleurs lourdement sur le destin des Tuileries. Incendié lors de la Commune, le château est rasé en 1882, avant tout pour des raisons idéologiques : les républicains refusent la reconstruction, pourtant possible, de cette résidence monarchique. Ce faisant, c'est toute la logique d'extension et d'aménagement du Louvre, désormais ouvert sur l'ouest, qui est modifiée.
Naissance d'un musée
Délaissé par Louis XIV, le Louvre est devenu, pendant le dernier siècle de l'Ancien Régime, un véritable palais des arts et des sciences. Il abrite une multitude d'institutions, de façon stable ou provisoire. Dès 1640, les presses de l'Imprimerie royale y sont installées. À partir de 1672, les Académies y siègent. De 1770 à 1782, le Louvre accueille même la Comédie-Française. Artistes et artisans de renom peuvent y obtenir un domicile et un atelier : de Coypel à David, nombreux sont les bénéficiaires, mais la compétition est rude. Les espaces sont fractionnés et des constructions parasitaires envahissent jusqu'à la Cour carrée. En 1692, l'année même de l'installation de l'Académie de peinture et de sculpture, la collection royale de statues est déployée dans la salle des Cariatides. Bientôt, l'habitude est prise d'exposer régulièrement dans la Grande Galerie, puis dans le Salon carré, les œuvres des académiciens et les morceaux de réception des nouveaux membres. Le Salon, désigné d'après sa localisation, se tient en août tous les ans, puis tous les deux ans. Il joue un grand rôle dans l'essor de la critique d'art (que l'on songe par exemple aux textes de Diderot).
Mais seul l'art de l'époque bénéficie de cette ouverture, l'accès aux collections anciennes demeurant très difficile. Or, à l'étranger, les initiatives dans ce domaine se multiplient, sur le modèle du musée du Capitole, inauguré à Rome en 1734 par le pape Clément XII. Entre 1750 et 1779, la pression des amateurs et des artistes conduit à l'ouverture, au palais du Luxembourg, d'une salle d'exposition rassemblant une centaine de toiles provenant des collections royales. Parallèlement, sous le règne de Louis XV et surtout de Louis XVI, le projet d'un muséum installé dans la Grande Galerie du Louvre fait son chemin Des œuvres sont acquises, d'autres restaurées, les plans-reliefs quittent en 1777 la Galerie où ils étaient en place depuis 1697. Cependant, le Muséum central des arts ne voit le jour qu'à l'époque de la Convention. Inauguré symboliquement le 10 août 1793, il est ouvert au public le 18 novembre suivant. Dans la Grande Galerie et le Salon carré sont exposés 538 toiles, des objets et des statues qui proviennent d'une part des collections ci-devant royales, de l'autre des saisies sur les biens de l'Église et des émigrés.
Durant la Révolution et le Premier Empire, le Muséum français s'enrichit d'œuvres saisies dans tous les pays d'Europe. Une partie d'entre elles sont d'ailleurs déposées dans des musées créés en province. Le 28 juillet 1798, un convoi triomphal marque ainsi l'entrée au Louvre de statues antiques rapportées d'Italie. Il est vrai que les choix restent très classiques : jusqu'en 1815, toute la statuaire du musée est antique, à la seule exception des Esclaves de Michel-Ange. Le musée, baptisé « Napoléon » en 1803, s'étend progressivement : dans la Petite Galerie, le musée des Antiques est inauguré dès 1800. En 1806, les derniers artistes sont expulsés, tout comme l'Institut, successeur des Académies. Une partie des trésors accumulés, en particulier grâce au directeur des Musées nationaux, Vivant Denon, reprend en 1815 le chemin de l'étranger. Mais les collections demeurent considérables.
Lors de sa création, le Muséum est gratuit et ouvert à tous. Mais, dès février 1794, les conditions d'accès sont réglementées : sur les dix jours que compte la décade révolutionnaire, six sont réservés aux artistes et aux copistes, et trois seulement au public. Durant la première moitié du XIXe siècle, on y déplore sans doute une affluence excessive, mais le Louvre reste surtout l'affaire des hommes de l'art. Le public n'y entre librement que le dimanche. La foule ne se presse que lors des Salons, qui s'y tiennent jusqu'en 1848. Pendant leur durée, des échafaudages masquent les œuvres des collections permanentes. En 1855, l'accès est considérablement facilité : le Louvre est ouvert à tous, six jours sur sept. Il est vrai que la visite du musée devient alors une pratique culturelle généralisée, du moins dans les milieux urbains ou aisés. En 1892, le Louvre reçoit 750 000 visiteurs. La sélection sociale s'opère malgré la gratuité : l'usage impose le port de la redingote, et les gardiens refoulent les visiteurs en blouse qui ont l'audace de se présenter aux portes.
Le Musée conquiert le Louvre
Après l'« hémorragie » de 1815, les collections du Musée s'enrichissent à nouveau. Elles bénéficient tout d'abord de legs d'œuvres isolées (la Vénus de Milo, en 1821) ou de collections entières (celles de La Caze, d'Edmond de Rothschild, de Moreau-Nélaton...). Aujourd'hui, les dations qui soldent les droits de succession sont venues s'y ajouter. Les produits des fouilles archéologiques rejoignent également le musée (les taureaux de Khorsabad sous Louis-Philippe, la Victoire de Samothrace en 1863). Enfin, les conservateurs mènent une politique d'achat, en fonction des moyens dont ils disposent, pour combler les lacunes de leurs collections. Ils assurent ainsi un rééquilibrage par rapport aux écoles artistiques prisées sous l'Ancien Régime (au bénéfice, par exemple, des primitifs). Le musée du Luxembourg, qui abrite, de 1818 à 1937, les œuvres d'artistes contemporains, tient lieu également de réservoir pour l'avenir. Parallèlement, des départements nouveaux apparaissent, qui manifestent une ouverture sur les civilisations antiques non gréco-romaines (antiquités égyptiennes en 1826, antiquités orientales [pour l'Assyrie] en 1847), sur le Moyen Âge, le XVIIIe siècle ou le monde islamique.