Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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mai 68 (suite)

L'étincelle

La révolte étudiante, qui se traduit par une série de manifestations, est à l'origine du processus de mobilisation. La presse régionale et même la télévision se font l'écho des affrontements entre les jeunes et la police parisienne. Le 6 mai, et plus encore la nuit du 10 au 11 mai, appelée « nuit des barricades », provoquent un large soutien de l'opinion et font changer de position partis politiques de gauche et syndicats. Ces derniers appellent à une grève générale et à des manifestations unitaires le 13 mai, conçues au départ comme une action de solidarité ponctuelle et limitée dans le temps. Le 8 mai, le grand Ouest, de la Normandie à la Vendée, est traversé par une série de manifestations rassemblant paysans, ouvriers et étudiants pour la défense de l'emploi, pour « vivre au pays », mais aussi contre la répression policière. Le lendemain, l'usine Wisco, à Givet dans les Ardennes, est la première entreprise occupée pour que soit appliquée la convention collective des Métaux. Le gouvernement Pompidou hésite sur la conduite à tenir, tandis que de Gaulle n'intervient pas publiquement. À son retour d'Iran et d'Afghanistan le 11 mai, le Premier ministre fait un discours d'apaisement et d'ouverture en direction de cette jeunesse étudiante qu'il juge égarée.

La réponse des étudiants est l'occupation de la Sorbonne et, du 13 mai à la fin du mois de juin, se développe un vaste mouvement d'occupation de facultés et de lieux symboliques - tel l'Odéon à Paris -, où la parole devient reine. Pendant plus d'un mois, dans la plupart des universités françaises et dans certains lycées, lycéens, étudiants, enseignants et personnels administratifs, réunis en assemblées générales, discutent et élaborent de nouvelles structures de cogestion, tandis qu'une minorité préconise un changement radical de politique et de société. Mais, surtout, à partir du 14 mai, plusieurs entreprises sont occupées, une des premières étant Sud Aviation, près de Nantes.

La grève se généralise

La grève s'étend et devient progressivement générale, paralysant l'activité du pays. Entamée dans l'Ouest et se développant à partir des bastions syndicaux que sont les usines d'automobiles et la SNCF, la grève atteint les administrations et les établissements d'enseignement à partir du 20 mai. Au plus fort de la crise, le 24 mai, il y a environ sept millions de grévistes. La France entière est paralysée ; les services publics ne fonctionnent plus ; la télévision même est entièrement en grève le 25 mai, alors qu'une poignée de journalistes non grévistes et de techniciens désignés par le comité de grève assurent la diffusion d'un journal télévisé quotidien réduit à sa plus simple expression. Les syndicats sont divisés : craignant les provocations et les contacts avec les étudiants, la CGT veut contrôler la grève. Elle délègue au Parti communiste français la gestion politique du conflit et se concentre sur le terrain revendicatif. La CFDT, méfiante à l'égard des partis, soutient les étudiants et appuie la volonté de réformes ; le 16 mai, elle publie même un communiqué proposant de remplacer les structures sclérosantes de la société par l'autogestion et appelle à l'extension de la grève et du droit syndical. Désormais, les syndicats agissent en ordre dispersé. Le 22 mai, la motion de censure de l'opposition est repoussée à l'Assemblée nationale. Le discours du général de Gaulle le 24 mai appelant à un référendum est un échec. Dans la capitale comme en province, la soirée du 24 mai est le théâtre de violentes manifestations : à Paris, la Bourse est incendiée, un manifestant est tué plus ou moins accidentellement ; à Lyon, un commissaire de police est écrasé par un camion chargé de pierres lâché par des manifestants.

La période du 25 au 30 mai représente un tournant. Le 25 mai débutent au ministère du Travail, rue de Grenelle, des négociations tripartites entre le gouvernement, les représentants des patrons et les confédérations syndicales ouvrières et enseignantes. Pompidou veut surmonter la crise par les voies classiques de la négociation, la réduisant ainsi à un simple conflit social. Le 27 mai, après des négociations parfois orageuses, un protocole d'accord est établi. Proposé aux grévistes de Renault-Billancourt, il est repoussé. L'historiographie est encore incertaine sur la position de la CGT : la confédération a-t-elle sciemment proposé le protocole aux « métallos » de Renault en sachant qu'il serait repoussé ou a-t-elle été désavouée par « la base » ? Des négociations par branche s'engagent ensuite plus ou moins difficilement. C'est en fait l'échec de la tactique pompidolienne. La politique prend alors la relève : au lendemain du meeting de Charléty, organisé le 27 mai par le PSU, l'UNEF et la CFDT, auquel participe Pierre Mendès France, François Mitterrand se déclare prêt à se présenter comme candidat à la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir ; le 29 mai, dans une grande manifestation, le Parti communiste français met en avant, avec la CGT, le mot d'ordre de « gouvernement populaire » ; avec l'aide des Comités de défense de la République, créés le 11 mai par Jacques Baumel, Pierre Lefranc, Joseph Comiti, Charles Pasqua et Jacques Foccart pour mobiliser à droite le parti de l'ordre, les gaullistes préparent une manifestation gigantesque en réponse à celle du 13 mai. La « disparition » du général de Gaulle le 29 mai crée une incertitude. Est-il parti pour s'assurer de la fidélité des troupes françaises basées en Allemagne et placées sous le commandement du général Massu ? Ou a-t-il cédé à un découragement passager ? Les témoignages et les interprétations divergent. Quoi qu'il en soit, de Gaulle réapparaît le 30 mai, bien déterminé à reprendre le contrôle de la situation. Son discours, prononcé à la radio, qui se fait l'écho des souvenirs tragiques de 1940 et de l'Algérie, est bref, lu sur un ton ferme : la dissolution de l'Assemblée et de nouvelles élections sont annoncées. Prévu à 20 h, il est avancé à 16 h 30 pour la bonne marche de la manifestation qui semble une réaction à ce discours. Une marée humaine envahit les Champs-Élysées, reprenant symboliquement la rue aux contestataires, les drapeaux tricolores, la Marseillaise et le « V » de la victoire remplaçant les drapeaux rouges et noirs, les poings levés et l'Internationale. L'unité de la nation et de la patrie est affirmée autour de son chef et des institutions de la République. Dans la France entière, des manifestations semblables ont lieu les jours suivants pour prouver l'existence d'une majorité qui ne se reconnaît pas dans les « enragés » qui ont tenu le haut du pavé pendant un mois.