État, (suite)
Ils ont préféré, dans un premier temps, corriger les abus du pouvoir d'État en supprimant l'administration fiscale, en mettant sous tutelle les ministères, en supprimant les relais régionaux du pouvoir central, en introduisant partout le principe électif et en faisant de la toute-puissance de l'État le garant de la liberté et de l'égalité. Mais, peu à peu reconstitué à la fin de la Révolution et commençant à se doter d'un corps de fonctionnaires, l'État a manifesté les mêmes dérives autoritaires qu'auparavant, aggravées par ses tendances interventionnistes. Les principaux débats ont donc porté sur la place de l'exécutif (le couple gouvernement-administration déséquilibrant par trop la balance du pouvoir), sur le poids financier des collectivités et de l'État, et sur le rôle effectif de ce dernier. Dans ce contexte, les questions du suffrage universel (instauré en deux temps : 1848 et 1944) et des types de scrutin ont pu paraître essentielles, quoique le citoyen n'ait pas davantage été associé à l'élaboration des décisions. Aussi socialistes et communistes ont-ils milité en faveur de sa participation active au fonctionnement de l'État. Un même rejet de la nouvelle réalité étatique transparaît dans les divers programmes décentralisateurs ou même anti-étatistes qui jalonnent la vie politique française à partir de 1815, qu'ils émanent des traditionalistes ou bien des régionalistes d'aujourd'hui, sans omettre les fouriéristes, les proudhoniens, Le Play, Taine, les radicaux, Barrès et Maurras, ou encore les anarchistes.
En revanche, on ne peut pas dire que le débat de fond sur la prise en main de la vie du pays par l'État ait influencé véritablement la pratique des hommes politiques. C'est plutôt dans les théories qu'il faut chercher les prises de position catégoriques des libéraux (Constant, Tocqueville, Prévost-Paradol, Baudin, Jouvenel, Rougier, ou Rueff) et des interventionnistes (saint-simoniens, blanquistes, marxistes, socialistes).
Les principales menaces qui ont pesé et pèsent encore sur l'État français sont venues et viennent de l'extérieur : il s'est constitué en partie contre l'empereur et le pape au Moyen Âge, contre l'Église sous la Révolution, puis sous la République radicale. Dans les dernières décennies, ses représentants ont consenti des abandons de souveraineté en politique étrangère comme en politique intérieure, du fait notamment de la construction européenne. Néanmoins, ce ne sont pas les mesures de décentralisation prises depuis un quart de siècle qui peuvent ébranler l'édifice multiséculaire d'un État qui a conservé jusqu'à présent l'essentiel de ses prérogatives intérieures. Toutefois, ces dernières années, sa remise en cause s'est accélérée, notamment à travers une accélération de la décentralisation et les interrogations concernant le « modèle social français ».