Estienne (famille), (suite)
À l'image de maints typographes de leur époque, les Estienne savent allier technique artisanale et rigueur de l'érudition, en conciliant innovation technique (utilisation des caractères d'imprimerie Garamond), diffusion des langues anciennes (éditions de textes grecs et latins, dictionnaires), réglementation de la langue (orthographe et grammaire françaises) et éditions savantes pourvues de notes, de commentaires et d'un examen des variantes.
Le premier des Estienne, Henri (vers 1465-1520), est lié à Lefèvre d'Étaples et édite surtout des textes scientifiques (médecine, mathématiques) ou bibliques. Son fils Robert (1503-1559) entretient un contact constant avec les lecteurs par ses catalogues et ses avis ou lettres liminaires. Maîtrisant le latin, l'hébreu et le grec, cet ami de Budé publie à la fois, non sans succès commercial, des instruments de travail (dictionnaires ou grammaires), les œuvres d'auteurs classiques (Térence, Plaute, Cicéron) ou d'humanistes contemporains (Lorenzo Valla, Dolet, Érasme), ainsi que des textes religieux. Ce sont d'ailleurs ses éditions latine (1523), puis grecque (1546) du Nouveau Testament et la publication en 1527 de sa Bible - maintes fois rééditée - qui lui attirent les foudres de la Sorbonne et les censures de l'Église. Trois ans après la mort de son protecteur François Ier, il rallie les réformés et s'exile à Genève. Ses frères François (1502-1550) et Charles (1504-1564), puis son fils cadet Robert (1533-1571) continuent à s'occuper de la maison mère parisienne.
De son côté, le fils aîné de Robert, Henri (1531-1598), prend la direction de l'imprimerie genevoise. Féru, comme son père, de travaux linguistiques, il édite un célèbre Thesaurus linguae graecae en 1572, tout en entreprenant, avec une grande verve satirique, de défendre la jeune langue vulgaire. Inquiété par la censure genevoise, il songe à revenir à Paris, mais ce projet échoue malgré les bonnes relations qu'il entretient avec Henri III. Son petit-fils, Antoine, abjure le calvinisme, se rend à Paris et reprend en 1615 le titre d'« imprimeur du roi » que détenaient les premiers Estienne. Il meurt ruiné en 1674.
Les complexes vicissitudes de l'histoire familiale des Estienne montrent toute la place que les imprimeurs occupèrent au XVIe siècle dans l'histoire des naissantes sciences du langage, dans la défense, la diffusion et la réglementation de la langue vulgaire, mais aussi dans les controverses religieuses.