gallicanisme,
mot créé au XIXe siècle, qui désigne un ensemble de traditions appelées, sous l'Ancien Régime, « les libertés de l'Église gallicane ».
Il décrit une réalité aussi ancienne que l'identité française, élaborée au long de l'histoire des relations entre les Églises locales françaises et l'Église universelle. Il faut distinguer un gallicanisme royal, un gallicanisme parlementaire et universitaire, un gallicanisme épiscopal et presbytéral, tous trois issus, au Moyen Âge, de la lutte des rois et de leur justice contre les prétentions universalistes du pape, la centralisation romaine et les privilèges de juridiction de l'Église. Mais ces trois gallicanismes évoluent diversement selon le contexte historique.
Naissance et établissement du gallicanisme.
• L'élaboration des traditions françaises remonte à l'affrontement entre le pape Boniface VIII et le roi Philippe le Bel, dans les années 1300-1303. En effet, jamais une puissance politique et séculière n'avait affirmé ainsi son indépendance juridique à l'égard du pape. Cet événement doit beaucoup aux mutations du savoir au XIIIe siècle. L'augustinisme politique, qui guidait les rapports entre pouvoir politique et pouvoir religieux, cède alors devant l'aristotélisme et le thomisme. Depuis saint Augustin (354-430), on pensait la société chrétienne régie par une seule justice, dont le pape était le magistrat suprême. Désormais, il est possible d'affirmer qu'il y a une justice propre aux pouvoirs temporels, sans pour autant nier l'existence d'une justice ultime.
Lors des états généraux de 1302 et de 1303, les légistes du roi affirment l'indépendance du roi au temporel. Ils reconnaissent la supériorité du droit canon (car le pape ne peut s'y opposer). Ils rappellent les libertés de l'ancienne Église : élire les évêques et les abbés, qui disposent eux-mêmes des bénéfices inférieurs. Puis deux théologiens de l'Université de Paris, Marsile de Padoue, et son ami, l'aristotélicien Jean de Jandun, justifient pour la première fois la séparation de l'État et de l'Église. Dans le Defensor pacis (le roi), Marsile de Padoue décrit, en 1324, l'Église comme un service public dépendant de l'État, car elle n'est que « la multitude des croyants ». En fait, la position royale est beaucoup moins radicale. Les légistes estiment, en général, que l'Église a son domaine propre, le spirituel, et que celui-ci ne doit pas dominer le temporel. C'est à l'occasion du Grand Schisme (1378-1417) que le roi, soutenu par le parlement, prend l'habitude d'agir en chef de l'Église, tout en respectant le pape comme pouvoir spirituel. Quant au gallicanisme épiscopal, il défend aussi la réforme de l'Église. Il est diffusé, par exemple, par Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris. Pour les évêques, le concile est supérieur au pape.
Les trois formes de gallicanisme sont coordonnées dans les ordonnances royales du 18 février 1407, puis reprises et développées au concile de Constance (1414-1418), et dans la pragmatique sanction de Bourges, qui limite les prérogatives papales. Ce texte devient une loi du royaume, à la suite d'un concile national, le 17 juillet 1438.
Le gallicanisme, instrument de consolidation du pouvoir absolu des rois.
• Le pape refuse la pragmatique sanction, mais n'excommunie pas Charles VII, car le roi l'applique de façon très modérée. Elle devient une arme pour limiter l'intervention du pape en France. François Ier, vainqueur à Marignan en 1515, négocie avec Léon X pour accroître son pouvoir légal sur l'Église, en disposant des bénéfices majeurs, par le concordat de Bologne (1516). C'est une victoire du gallicanisme royal, mais au détriment des autres gallicanismes, qui entraîne l'opposition obstinée des parlements et de l'Université au concordat. Les rapports des rois de France avec la papauté seront très fluctuants jusqu'à la Révolution, mais sans que les rois envisagent le schisme, et sans que les papes excommunient les rois. Les papes ont soutenu la Ligue ultra-catholique, mais ils ont également conforté le pouvoir d'Henri IV en lui accordant l'absolution, un an seulement après son abjuration. Henri IV est, de ce fait, moins gallican que les parlements, qui refusent systématiquement de reconnaître le concile de Trente, au nom de la pragmatique sanction.
Au XVIIe siècle, le gallicanisme royal est un outil diplomatique et le support de la tradition nationale. Ainsi, lorsque Richelieu menace de créer un patriarcat des Gaules, ce n'est qu'un chantage pour lutter contre les Habsbourg et contre le parti dévot, en obtenant la neutralité pontificale. La crise la plus grave survient en 1673 avec l'affaire de la Régale : Louis XIV décide unilatéralement d'étendre le régime concordataire aux diocèses conquis depuis 1516. Condamné par le pape Innocent XI, il répond par la réunion de l'Assemblée extraordinaire du clergé de 1681-1682. Le modéré Bossuet s'y fait remarquer par une célèbre homélie d'ouverture : « Paraissez maintenant, sainte Église gallicane, avec vos évêques orthodoxes et avec vos rois très chrétiens, et venez servir d'ornement à l'Église universelle. » L'Église gallicane est exaltée, mais le Saint-Siège est ménagé. La Déclaration des Quatre Articles, rédigée par Bossuet à partir de six articles de la Sorbonne de 1663, rappelle l'indépendance des rois au temporel, la supériorité du concile, le fait que le jugement du pape n'est pas irréformable. Le pape ne condamnera les Quatre Articles qu'en 1691. En fait, Louis XIV ne cesse de négocier. En 1693, le pape accepte l'extension de la régale, et le roi accepte que les Quatre Articles soient une opinion, et non pas un décret. À aucun moment le schisme n'a été envisagé.
À côté du gallicanisme royal, le gallicanisme parlementaire et universitaire s'exprime avec beaucoup de radicalité dès que les circonstances s'y prêtent, c'est-à-dire lorsque le pouvoir royal se trouve affaibli. En 1594, Pierre Pithou rédige une compilation qui servira tout au long de l'Ancien Régime : Recueil des libertés de l'Église gallicane. Le syndic de la faculté de théologie, Edmond Richer, va plus loin, en 1611, en définissant l'Église comme une aristocratie, et les prêtres comme des prélats mineurs auxquels le Christ a confié le pouvoir des clés. Ce presbytérianisme, qui considère que le curé dans sa paroisse est comme l'évêque dans son diocèse, sera repris par les jansénistes au XVIIIe siècle. Mais, si la production juridique et théologique est audacieuse, le clergé de France, à l'instar de Bossuet, reste très prudent. Le gallicanisme épiscopal est donc réduit à l'impuissance par le presbytérianisme, et le gallicanisme parlementaire, par l'absolutisme.