république (suite)
En 1944, personne ne doutait que le général de Gaulle fût l'acteur principal de ce rétablissement de la république, dont il avait été en quelque sorte le gardien « légitime » pendant la parenthèse vichyssoise. On hésita seulement sur la question de savoir si ce principe de restauration devait amener à rétablir la IIIe République, ou s'il fallait rajeunir les institutions en instaurant une République quatrième, ce qui fut finalement décidé, comme on sait, par référendum dès 1945.
Plus intéressantes sont les péripéties de 1958, lorsque le Général, trouvant à son tour mauvaises les institutions de la IVe, fit campagne pour un nouveau changement. Alors, du 13 mai 1958 (putsch d'Alger) au 28 septembre (victoire du « oui » gaulliste au référendum) en passant par le 1er juin (de Gaulle élu président du Conseil par l'Assemblée), le conflit entre partisans et adversaires du Général a été présenté par ces derniers comme un combat de défense de la république. Le Général, homme issu de la droite, assez indifférent à la laïcité, grand partisan de l'exécutif fort, capable de s'appuyer avec opportunisme sur le putsch d'Alger plutôt que de le dénoncer, avait tous les caractères de ces républicains autoproclamés que la gauche dénonçait comme inauthentiques parce qu'il leur manquait quelques-uns des bons critères. On évoquait les spectres de Bonaparte et de Boulanger. Il serait à peine exagéré de dire que la bataille politique de 1958 fut la dernière bataille idéologique du XIXe siècle.
Comme on le sait, le gaullisme a démenti les pronostics sinistres de ses adversaires : tout compte fait, de Gaulle n'a pas gouverné en dictateur, et la Ve République a connu, en 1981, une première alternance. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé à plusieurs reprises d'enregistrer ce fait dans des conventions de langage objectives. Il n'est plus possible aujourd'hui de soutenir que la gauche seule est authentiquement républicaine, alors que la droite le serait fallacieusement. La droite n'est pas « républicaine » selon les normes de la « tradition » cultivée à gauche, elle l'est autrement. Il existe un consensus sur l'idéal de république en son sens le plus général et sur la version minimale du programme ; il y a débat sur le reste, comme il y a débat sur maints autres problèmes de la vie publique.
Les observateurs d'aujourd'hui ne peuvent d'ailleurs qu'être frappés du fait que les mots « république » et « républicain » sont désormais plus fréquents dans le vocabulaire des partis classés à droite que dans ceux de la gauche. Les gaullistes, en particulier, apparaissent à beaucoup d'égards comme les principaux héritiers de la droite républicaine, quand ce n'est pas de l'ancien centre gauche de la IIIe République. À gauche, on est déconcerté devant cette évidence, et deux réactions tout à fait contradictoires se dessinent : les uns veulent s'affirmer toujours et encore « républicains » et s'acharner à disputer à la droite le label de républicanisme ; les autres, au contraire, veulent considérer que l'idéal « républicain », capté par le gaullisme, est désormais réactionnaire, et que le progrès consisterait à se dire « démocrate ». Il est trop tôt pour savoir ce qu'il adviendra de ces innovations verbales, un peu ésotériques.
République et rhétorique
La république, cette forme française de la démocratie libérale, est acceptée par la quasi-unanimité des citoyens du pays. Pour la grande majorité d'entre eux, « république » et « républicain » sont des mots réputés bons et présumés efficaces. De là, de curieuses habitudes du langage politique, dont l'accoutumance nous a fait oublier le caractère emphatique, redondant ou pléonastique : « maintenir (ou rétablir) l'ordre républicain », « faire appliquer les lois de la République », « maintenir [la Nouvelle-Calédonie, la Corse...] dans la République »... Emphase et redondance significatives en elles-mêmes, et aussi par leur usage, que l'on trouve aussi bien à droite qu'à gauche. Cependant, ce consensus de fait n'est pas reconnu comme tel, tant sont importantes, entre la droite et la gauche, non seulement les divergences d'avis sur maints problèmes concrets, mais encore les différences de sensibilité nourries par une longue histoire.