Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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mai 1958 (crise du 13), (suite)

Honnie par la mémoire républicaine, la journée insurrectionnelle du 13 mai 1958 apparaît bien comme le détonateur du processus qui entraîne la chute de la IVe République et le retour du général de Gaulle aux affaires. Contesté de toutes parts, le régime a chèrement payé son incapacité à résoudre le drame algérien. Si de Gaulle n'est pas à l'origine de l'insurrection des Français d'Algérie, ses fidèles y ont pris une part active, et il a su, en bon stratège, l'exploiter à son profit. Mais, des deux projets dont le général était alors porteur - fonder un nouveau régime et sauver l'Algérie française -, seul le premier s'avérera durable.

mai 68

« Commune juvénile », « carnaval », « répétition générale », « révolution manquée », « psychodrame », « révolution trahie », « mystère » : les qualificatifs sont légion pour caractériser la crise profonde qu'a connue la France en mai-juin 1968.

Vingt ans plus tard, les événements de 1968 sont considérés par les Français comme les plus importants depuis la Seconde Guerre mondiale. La mémoire savante a surtout retenu les conséquences culturelles du mouvement, réduit dans son appellation courante - « mai 68 » - à un seul mois. Pourtant, il faut sans doute évoquer le spectre plus large des « années 68 », ces années utopiques, pour mesurer l'ensemble et l'ampleur de ses effets. Officiellement, le mouvement est déclenché le 3 mai à 15 heures 35 minutes quand le recteur de l'académie de Paris « requiert les forces de police pour rétablir l'ordre à l'intérieur de la Sorbonne en expulsant les perturbateurs ». La requête est exécutée et provoque la première manifestation étudiante de solidarité face à la « répression » de la police parisienne : le slogan « CRS-SS » fait son apparition. La fin de la crise est parfois fixée au 30 mai, jour du discours du général de Gaulle annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue de nouvelles élections, allocution suivie d'une manifestation massive sur les Champs-Élysées, reprise symbolique de la rue aux contestataires par une marée humaine tricolore. C'est cette chronologie que désignent les appellations courantes de « mai 68 » ou d'« événements de mai 1968 ». Sans doute faut-il attendre le second tour des élections législatives, le 30 juin 1968, et la victoire écrasante de la majorité présidentielle pour que s'achève, au moins temporairement, le processus de crise.

Les prodromes

En réalité, la contestation multiforme commence bien avant le 3 mai 1968 et se prolonge plusieurs années après le mois de juin, au cours d'une décennie marquée par une politisation croissante. La jeunesse, que scrutent des sciences sociales en plein essor, et surtout la jeunesse étudiante, apparaît comme le détonateur de la crise. Dès 1965, elle se manifeste sur deux fronts. Au nom de la liberté sexuelle, des étudiants de la résidence universitaire d'Antony occupent le bâtiment réservé aux filles pour protester contre le règlement ministériel instaurant cette séparation entre sexes. Leur exemple est bientôt suivi à Nantes, Brest et Nanterre, seule université à tenir la vedette, puisque l'un des ses étudiants, Daniel Cohn-Bendit, avait été repéré par les médias dès janvier 1968 lorsqu'il avait ironiquement interpellé le ministre de la Jeunesse et des Sports en visite sur le campus. Mais c'est à Nantes, le 15 février 1968, que sont construites les premières barricades.

Le Viêt Nam est le second front qui mobilise la jeunesse estudiantine. Des avant-gardes politisées, marxistes ou chrétiennes, se solidarisent avec les Vietnamiens qui se battent contre l'armée américaine. Si l'engagement des chrétiens est pacifiste, certaines manifestations de l'extrême gauche sont plus violentes : attaques menées contre des intérêts américains et affrontements dans la rue avec des groupes d'extrême droite favorables au gouvernement proaméricain du Viêt Nam du Sud ou avec la police.

Mais les étudiants n'ont pas le monopole de la contestation. Depuis le début des années soixante, à la suite de la construction de l'Europe verte et de l'instauration de la politique agricole commune, les paysans manifestent périodiquement. En 1967, à Carcassonne, à Redon et à Quimper, des bâtiments publics sont pris d'assaut et des affrontements violents avec les forces de l'ordre se produisent. Dans certaines entreprises, la peur du chômage conjoncturel, la fermeté patronale et le blocage du pouvoir d'achat par le plan de stabilisation conduisent à des formes d'action nouvelles auxquelles les jeunes ouvriers prennent une part active, débordant parfois les directions syndicales, en particulier en province : à la Rhodiaceta-Besançon et au Mans en 1967, à Caen, Fougères et Redon au début de 1968, la hiérarchie et le travail d'usine sont remis en cause et les affrontements avec la police se multiplient ; ainsi en janvier 1968 à Caen, où jeunes ouvriers et étudiants manifestent ensemble. L'événement est largement relayé par la presse locale et nationale. Et, pourtant, l'éditorialiste du quotidien le Monde écrit le 15 mars 1968 un article devenu célèbre : « Quand la France s'ennuie ». Les propos de Pierre Viansson-Ponté ont été souvent mal interprétés : le journaliste y souligne la fragilité de certains groupes sociaux - « chômeurs, jeunes sans emploi, paysans écrasés par le progrès » - face à un pouvoir politique lointain et immobile qui, lui, s'ennuie, alors que le monde entier bouge et que la télévision française anesthésie les consciences.

Cette dernière ne couvre d'ailleurs pas l'événement qui sera plus tard considéré par les analystes comme le point de départ de la crise : dans la nuit du 21 au 22 mars, 142 étudiants occupent le bâtiment administratif de la faculté de Nanterre pour protester contre l'arrestation de deux des leurs au cours d'une manifestation antiaméricaine. Le « mouvement du 22 mars » est né. Avec son campus isolé au milieu des bidonvilles, la jeune faculté de Nanterre avait connu à l'automne des mouvements sporadiques, issus essentiellement du département de sociologie où professent, entre autres, Henri Lefebvre, Jean-François Lyotard, Alain Touraine, René Lourau et Jean Baudrillard. En novembre 1967, une grève y avait soudé une communauté contestataire de 1 000 à 2 000 personnes sur 12 000 inscrits. Les militants actifs n'étaient qu'une poignée, moins d'une centaine, mais, par leur mode d'action, à la fois humoristique et hardi, ils avaient réussi à entraîner de nombreux sympathisants. À partir du 22 mars, une escalade verbale et physique entre l'administration de l'université et les contestataires aboutit, le 2 mai, à la fermeture de la faculté et à la convocation des leaders devant les autorités académiques. Tenant meeting à la Sorbonne, le 3 mai, ils en sont chassés par la police. « Mai c'est parti », écrira dix ans plus tard Maurice Grimaud, préfet de police en charge de l'ordre dans la capitale. Quant à Georges Marchais, il dénonce dans l'Humanité du 3 mai 68 « les groupuscules gauchistes dirigés par l'anarchiste allemand Cohn-Bendit ».