Juillet (monarchie de). (suite)
Par ailleurs, la loi de réforme pénale du 28 avril 1832 révise en profondeur le très répressif Code pénal napoléonien de 1810 ; elle supprime de nombreux cas d'application de la peine de mort, abolit la mutilation du poing droit pour les parricides et la marque au fer rouge pour les bagnards et, surtout, introduit les « circonstances atténuantes » (article 463), laissées à l'appréciation des jurys. En quelques années, le nombre des exécutions capitales diminue de plus de la moitié. La loi Guizot sur l'instruction publique (28 juin 1833) crée un enseignement primaire dans le cadre de l'Université d'État, oblige chaque commune à entretenir une école, et chaque département à ouvrir une école normale d'instituteurs. Bien que l'école ne soit ni obligatoire ni gratuite (les maîtres, laïques ou congréganistes, sont rétribués, pour une faible part par les communes, pour l'essentiel par les parents), les progrès dans la diffusion de l'instruction sont réels : le nombre de communes sans école tombe de 14 000 en 1835 à 3 200 en 1850, et la proportion des conscrits illettrés, de 55 % à 36 %, tandis que les effectifs scolaires passent de 1,4 million d'élèves à 3,5 millions. D'autre part, la loi du 30 juin 1838 sur les asiles d'aliénés, préparée sous les auspices de Jean Esquirol, met fin à la situation de non-droit qui était celle de la plupart des malades mentaux : elle institue dans chaque département des asiles spécialisés, réglemente l'entrée (par placement volontaire, à la demande des familles ou des proches, ou par placement d'office, sur l'intervention des autorités publiques) et la sortie des malades, édicte des dispositions concernant la gestion de leurs biens et fixe des garanties (surveillance médicale, inspection préfectorale), qui, cependant, ne seront pas toujours respectées. Sur le plan religieux, enfin, la monarchie de Juillet établit une stricte égalité de droit entre les trois cultes reconnus (catholicisme, protestantisme et judaïsme), abolit la notion de « religion de l'État » et la loi de 1825 sur le sacrilège (qui punissait de mort le vol de vases sacrés et la profanation des hosties), et prend en charge le traitement des rabbins (1831), à l'instar des autres « ministres du culte ».
Ces réformes ont cependant leurs limites : le plein exercice de la citoyenneté demeure le privilège des plus fortunés ; les femmes restent des mineures sur le plan juridique et sont exclues de la vie politique ; les tentatives d'introduction du divorce échouent devant l'hostilité des pairs ; et le régime, attaché aux intérêts des planteurs, maintient l'esclavage dans les îles (262 000 esclaves en 1848) et applique imparfaitement la législation internationale contre la traite des populations noires d'Afrique.
La modernisation de l'économie française
La France, touchée par un mouvement de décélération démographique encore limité (le royaume compte 32,6 millions d'habitants en 1831, 35,4 millions en 1846), connaît une période de croissance économique. Le taux annuel moyen d'accroissement du revenu national - 2,4 % durant la décennie 1835-1845 - est le plus élevé du XIXe siècle. Par une politique d'investissement massif pour développer les voies de transport (achèvement du plan Becquey d'aménagement de voies fluviales et de canaux ; loi de 1836 sur les chemins vicinaux ; loi du 11 juin 1842 sur la concession des voies ferrées), l'État et les collectivités locales transforment les conditions du marché : on compte 1 900 kilomètres de voies ferrées en 1848, contre 570 kilomètres en 1842. Sans qu'il y ait véritablement une multiplication du crédit - par souci de stabilité -, l'innovation est soutenue par une première extension du système bancaire (fondation de la Caisse générale du commerce et de l'industrie, en 1837, par Jacques Laffitte ; poursuite du développement de la banque Rothschild), mais aussi par l'apport de capitaux internationaux, notamment britanniques, et par l'essor d'une capitalisation boursière souvent spéculative. Malgré le maintien de barrières douanières hautement protectionnistes, l'économie française, stimulée par un riche marché intérieur et aiguillonnée par des transferts de techniques en provenance du Royaume-Uni, de la Belgique ou de l'Allemagne, traverse une phase de prospérité. L'activité agricole, qui emploie près des deux tiers de la population active et fournit, en 1847, 44 % du produit intérieur brut, est marquée par une hausse régulière des rendements et des productions. Ces progrès sont liés à la diminution des jachères, à la bonification des terres (marnage, chaulage), à l'extension de la surface agricole utile et des cultures les plus productives (froment, pomme de terre, vigne), à la multiplication des prairies artificielles, à la sélection du bétail, et à l'expansion de productions destinées à l'industrie (betterave sucrière ; élevage du ver à soie pour la sériciculture ; culture de la garance pour l'industrie de l'habillement). L'essor de la production industrielle est accéléré par l'introduction de la machine à vapeur et de la mécanisation, par le développement de l'extraction houillère dans le Nord et le Massif central, par celui de la sidérurgie (de Wendel en Lorraine, Schneider au Creusot, la Compagnie générale des mines de la Loire à Saint-Étienne) et de l'industrie textile (Mulhouse, Lille-Roubaix-Tourcoing, Rouen, Lyon, Roanne), et, enfin, par l'apparition d'un premier prolétariat industriel brutalement arraché à la vie rurale : en 1848, on compte 1,3 million d'ouvriers de manufactures. Un artisanat de luxe, concentré à Paris, contribue à la commercialisation sur une vaste échelle de produits à très forte valeur ajoutée.
La France de la monarchie de Juillet développe ainsi un type d'industrialisation original par rapport au modèle britannique, en privilégiant le marché intérieur par rapport à l'exportation, en comblant ses propres lacunes par une importation massive de brevets, de techniciens et de capitaux, et en s'appuyant, notamment au niveau des infrastructures, sur l'intervention de l'État dans le cadre d'une économie libérale. La première et unique loi sociale de la période (loi du 22 mars 1841), qui interdit le travail des enfants de moins de 8 ans et limite à huit heures par jour la durée de travail des enfants de moins de 12 ans, reste inappliquée, faute de surveillance.