Draveil et Villeneuve-Saint-Georges (grève de),
mouvement social déclenché le 2 mai 1908 par les ouvriers de la Société des sablières de la Seine, qui regroupe différentes carrières du sud de Paris, pour obtenir une augmentation de salaire et une amélioration des conditions de travail.
Refusant de discuter avec le syndicat, les patrons tentent, par tous les moyens, de faire redémarrer l'activité. Aux tensions entre grévistes et non-grévistes s'ajoutent les heurts entre ouvriers et gendarmes : 2 ouvriers sont tués et 10 autres, blessés, le 2 juin. Le gouvernement Clemenceau est mis en accusation à la Chambre, mais sa majorité le soutient. La grève se poursuit ; le 30 juillet, la marche des chômeurs organisée par la CGT à Draveil dégénère, et les barricades élevées par les manifestants à Villeneuve-Saint-Georges sont chargées par la cavalerie. On déplore 4 morts et 200 blessés. Le lendemain, les chefs de file de la CGT sont arrêtés, et une nouvelle grève est décidée pour le 3 août, mais elle échoue : le 4, le comité de grève accepte les propositions de la compagnie.
Ce conflit marque une nouvelle étape dans l'affrontement entre Clemenceau et la CGT. Par son intransigeance, le chef du gouvernement renforce sa réputation de « briseur de grèves » et d'ennemi du prolétariat. En outre, les événements de Villeneuve-Saint-Georges offrent aux socialistes une nouvelle occasion de souligner la nécessité de la lutte des classes, et de rejeter la « république bourgeoise ». Enfin, l'échec de la grève du 3 août met un terme à la crise qui secoue la CGT depuis plusieurs mois : Victor Griffuelhes est remplacé par Léon Jouhaux à la tête du syndicat.
Dreyfus (affaire).
L'erreur judiciaire commise en décembre 1894 sur la personne du capitaine Alfred Dreyfus ouvre, trois ans plus tard, l'une des crises les plus profondes de l'histoire de la IIIe République.
Elle met au jour de graves dysfonctionnements dans les rapports entre l'armée, la justice et le pouvoir, mais contribue aussi à une recomposition de la vie politique. De nouvelles forces s'organisent, nationalistes à l'extrême droite, et socialistes à l'extrême gauche. De nouveaux acteurs, les intellectuels, entrent en scène. D'un épisode important dans l'histoire des préjugés antisémites, la tradition républicaine, reposant sur la défense des droits de l'homme, est sortie, malgré tout, renforcée. En dépit des pressions, l'État reconnaît l'innocence du capitaine, qui sera finalement réhabilité en juillet 1906.
Une affaire d'espionnage
Le 26 septembre 1894 parvient dans les bureaux de la Section de statistique (service des renseignements de l'armée) un document manuscrit déchiré (le « bordereau ») provenant de l'ambassade d'Allemagne à Paris. Cette pièce, récupérée par un agent français, Marie Bastian, employée comme femme de ménage à l'ambassade, prouve l'existence d'activités d'espionnage au profit de l'Allemagne : l'auteur du bordereau annonce la livraison de plusieurs informations concernant, notamment, l'armement français (le canon de 120) et quelques modifications stratégiques. Affecté par ces fuites, qui ne sont pas les premières, et en butte à une campagne de presse hostile, le général Mercier, ministre de la Guerre, exige que le coupable soit démasqué dans les plus brefs délais. Il oriente l'enquête en direction des officiers stagiaires de l'état-major susceptibles d'avoir fréquenté plusieurs services. Les soupçons, fondés sur les renseignements annoncés dans le bordereau, se portent sur quelques artilleurs. Hâtivement conduite, l'enquête révèle une similitude - d'ailleurs contestée par l'un des experts graphologues - entre l'écriture du capitaine Dreyfus et celle de l'auteur du bordereau.
Alfred Dreyfus (1859-1935), ancien élève de l'École polytechnique, est issu d'une famille de riches industriels juifs de Mulhouse ayant opté pour la nationalité française après la guerre de 1870. Brillant officier, il a complété sa formation première dans l'artillerie à l'École de guerre, avant d'être attaché à l'état-major de l'armée, en 1893, en tant que capitaine stagiaire. Le 15 octobre 1894, il est convoqué, pour une inspection, au bureau du chef d'état-major. Le commandant du Paty de Clam, responsable de l'enquête et déjà convaincu de la culpabilité de Dreyfus, lui fait écrire un texte comprenant quelques mots du bordereau. Trois nouveaux experts graphologues - parmi lesquels Alphonse Bertillon, le célèbre chef du laboratoire d'anthropologie de la Préfecture de police - pensent reconnaître une identité des écritures. L'enquête n'ayant rien éclairci des mobiles éventuels de Dreyfus, ni même ajouté l'ombre d'une preuve, le résultat de cette expertise constitue le seul élément pour accabler le capitaine. Immédiatement arrêté après l'épreuve de cette « dictée », et ayant refusé de se suicider, comme on l'y poussait, Dreyfus est incarcéré à la prison militaire du Cherche-Midi, et mis au secret. L'instruction se déroule du 7 novembre au 3 décembre 1894, sans apporter d'éléments nouveaux. En revanche, elle est l'occasion d'une très violente campagne de presse contre Dreyfus. Le colonel Sandherr, chef de la Section de statistique, décide d'étayer le dossier vide de Dreyfus en constituant un « dossier secret », dans lequel il rassemble différentes pièces susceptibles de corroborer artificiellement la « culpabilité » de l'accusé. Ce dossier, non transmis à la défense, est communiqué en toute illégalité aux juges du conseil de guerre réuni à huis clos du 19 au 22 décembre 1894, et emporte leur conviction : Dreyfus est reconnu coupable de trahison, et condamné à la déportation à perpétuité. Le 5 janvier 1895, il doit subir l'humiliante cérémonie de la dégradation dans la cour de l'École militaire : ses épaulettes sont arrachées ; son sabre, brisé. La foule massée au loin le hue aux cris de « À mort les traîtres ! À mort les juifs ! ». Le 18 janvier, il quitte la métropole pour les îles du Salut, situées au large des côtes de la Guyane. Le 13 avril, il est transféré à l'île du Diable, où il passera, dans des conditions extrêmement éprouvantes, le reste de sa détention.