Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
J

jansénisme, (suite)

Le parti janséniste, appuyé sur les milieux parlementaires, s'exprime plus ouvertement après la mort de Richelieu, en 1642, et de Louis XIII, en 1643. En dépit de la condamnation de l'Augustinus par le Saint-Office (1641), la polémique se développe. Les jésuites accusent les jansénistes de renouveler les erreurs de Calvin. Les jansénistes affirment leur fidélité à saint Augustin. L'ouvrage d'Antoine Arnauld, De la fréquente communion, connaît un grand succès en 1643. Il préconise de différer l'absolution et promeut la privation de communion comme moyen d'ascèse. Antoine Arnauld attaque les casuistes jésuites, les accusant de laxisme, c'est-à-dire de trop adapter les règles morales au monde.

Or, Mazarin poursuit la politique de Richelieu. L'épiscopat, inquiet du développement de la polémique, en appelle à Rome ; en 1653, le pape Innocent X condamne les « Cinq Propositions » de l'Augustinus, mais qui ne sont pas attribuées de manière explicite à Jansénius. La condamnation est entérinée par les assemblées du clergé de 1654 et de 1655, et Arnauld, exclu de la Sorbonne en 1656. Le jansénisme trouve alors un brillant polémiste, dont l'anonymat ne sera percé qu'en 1659, Blaise Pascal, mais le succès public des Provinciales (1656-1657) n'empêche pas une nouvelle condamnation pontificale des « Cinq Propositions » en 1656. Arnauld décide alors de distinguer le droit et le fait : sur le droit, c'est-à-dire sur l'hérésie des « Cinq Propositions », il considère légitime la position papale ; sur le fait, c'est-à-dire sur la présence comme telles des propositions dans l'Augustinus, il affirme que le pape s'est trompé et préconise le silence respectueux à son égard.

La persécution étatique.

• Le loyalisme des jansénistes paraît douteux à Louis XIV. En 1657, l'assemblée du clergé impose donc à tous les ecclésiastiques la signature du Formulaire affirmant que les « Cinq Propositions » se trouvent bien dans l'Augustinus et les condamnant. Mais les religieuses de Port-Royal refusent de signer ; la persécution commence. En 1664, douze religieuses récalcitrantes sont exilées dans d'autres couvents, et la communauté, qui est privée de sacrements, finit par céder. Mais Port-Royal gagne les sympathies de l'opinion publique. Quatre évêques, dont Henri Arnauld et Nicolas Pavillon, décident d'en appeler à Rome. Les négociations aboutissent enfin à la Paix de l'Église (1668). Mais, dès 1675, la polémique reprend, et Antoine Arnauld s'exile aux Pays-Bas en 1679 ; il est rejoint en 1685 par un érudit connu, l'oratorien Pasquier Quesnel, qui publie, en 1695, le Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset.

Quesnel est un augustinien modéré, mais très influencé par le richérisme, du nom du gallican Edmond Richer, qui soutenait en 1611 que le dépôt de la foi est confié non pas au Saint-Siège et à la hiérarchie seuls mais à tout le corps des fidèles. Cela revient à dire qu'une vérité dogmatique ne peut s'imposer que si elle est acceptée par l'ensemble des croyants. Les Réflexions morales provoquent un intense débat, auquel prennent part Fénelon et Bossuet. En 1701, un curé auvergnat soumet à la Sorbonne un cas de conscience : peut-on absoudre un pénitent qui, sur le « fait » (c'est-à-dire l'attribution des « cinq propositions » à Jansénius), refuse d'aller plus loin que le silence respectueux ? Si la majorité des docteurs répond par l'affirmative, le Saint-Office, lui, condamne cette position. L'archevêque de Paris et la Sorbonne elle-même reculent. Cependant, la polémique est relancée. Quesnel est arrêté à Bruxelles, en 1703, à la demande du roi de France ; il réussit à s'évader mais ses papiers démontrent l'existence d'un réseau janséniste organisé. Louis XIV obtient donc une nouvelle condamnation par Rome (1705). Les vingt religieuses de Port-Royal des Champs ayant refusé de la signer sans clause restrictive, il ordonne, en 1709, la dispersion de la communauté et la destruction du couvent.

Sous l'impulsion de Fénelon, les Réflexions morales sont condamnées par un bref pontifical en 1708 ; mais la décision divise l'épiscopat. En 1713, Louis XIV obtient donc du pape Clément XI la bulle Unigenitus, qui anathématise cent une propositions choisies dans l'œuvre de Quesnel de façon à constituer une sorte de résumé de la doctrine janséniste. Toutefois, la bulle rencontre une vive résistance, tant dans les milieux parlementaires que parmi les évêques. À l'assemblée du clergé de 1714, huit évêques se joignent à Louis de Noailles, archevêque de Paris, pour demander des explications au Saint-Siège sur le sens des propositions condamnées. Les évêques sont relégués dans leur diocèse mais le mouvement, renforcé par un grand nombre d'écrits polémiques, ne cesse de prendre de l'ampleur. Louis XIV s'apprête à convoquer un concile national avec l'approbation, du bout des lèvres, de Rome quand la mort le surprend, le 1er septembre 1715.

Une mentalité collective.

• Le Régent, Philippe d'Orléans, a besoin du parlement pour gouverner ; il favorise d'abord les jansénistes, malgré la désapprobation du pape. Le 5 mars 1717, quatre évêques déposent en Sorbonne un acte notarié par lequel ils en « appellent » à un concile général pour condamner la bulle Unigenitus. Dans les mois qui suivent, ils sont soutenus par près de 3 000 ecclésiastiques « appelants » (soit 3 à 4 % du clergé). Débordé par la situation, le Régent revient sur sa décision, avec l'appui des papes Clément XI (1700/1721) et Innocent XIII (1721/1724) ; mais il ne réussit qu'à créer une mentalité de persécution et de martyre parmi les récalcitrants. Sous le règne de Louis XV, en 1730, la bulle Unigenitus devient une loi du royaume ; les bénéfices dont les titulaires n'auraient pas signé le formulaire sont déclarés vacants. Dès lors, le parti lui-même disparaît, mais non l'esprit de résistance, renforcé par une persécution injuste, et qui s'exprime brillamment et bruyamment dans le périodique les Nouvelles ecclésiastiques, qui paraît clandestinement de 1728 à 1803.