Turenne (Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de),
maréchal de France (Sedan 1611 - Sasbach, Bade - Wurtemberg, Allemagne, 1675).
Cadet d'une grande famille qui possède le duché de Bouillon et la principauté de Sedan, petit-fils, par sa mère, de Guillaume Ier de Nassau, Turenne reçoit une solide éducation calviniste et humaniste qui l'intègre à l'Europe protestante. Il fait ses premières armes en Hollande, en 1629, avec son oncle le prince d'Orange et n'abandonne le service hollandais qu'en 1633.
Pourvu, à 14 ans, d'un régiment en France, il s'illustre désormais sur tous les théâtres de la guerre de Trente Ans, devenant maréchal à 32 ans. Commandant en Allemagne, il mène la campagne de 1644, marquée par la victoire de Fribourg sur le baron von Mercy, qui commande les troupes bavaroises, et par la conquête de la rive gauche du Rhin. L'année suivante, battu par Mercy, il prend sa revanche à Nördlingen, en Souabe (3 août 1645). Combinant les opérations de 1646 avec ses alliés suédois, il ravage la Bavière et pousse l'Électeur à un armistice (1647). En 1648, il bat les Bavarois à Zusmarshausen et prend Munich, une victoire qui hâte la conclusion de la paix. Couvert de gloire, Turenne est pourtant insatisfait : l'agitation de son frère, le duc de Bouillon, l'éloigne de la faveur de Mazarin, et le gouvernement de l'Alsace, qu'on lui offre, lui paraît insuffisant. Il se jette alors dans la Fronde, mais, vaincu à Rethel (1650), il rejoint le camp royal. Il bat Condé sous les murs de Paris, au faubourg Saint-Antoine (2 juillet 1652), puis remporte sur l'Espagne la victoire d'Arras (1654), et surtout celle des Dunes (14 juin 1658), prélude à la paix des Pyrénées. En 1660, Louis XIV lui octroie le titre insolite de « maréchal général », ne voulant pas rétablir celui de connétable. Les guerres de Louis XIV le mènent en Flandre (1667) puis en Allemagne. Vainqueur à Sinzheim (juin 1674), il dévaste le Palatinat, mais, pris à revers, doit évacuer l'Alsace en octobre. La campagne de 1675 est son chef-d'œuvre : en plein hiver, il pousse ses troupes à travers les Vosges enneigées, et surprend au sud les Impériaux, qu'il écrase à Turckheim (5 janvier 1675) et oblige à repasser le Rhin. Il est tué par un boulet en pays de Bade.
Aimé de ses hommes, admiré de ses adversaires, ce chrétien sincère, converti par Bossuet au catholicisme en 1668, n'a cependant jamais reculé devant la brutalité. Formé à l'école suédoise du choc frontal, il est aussi un maître du « style indirect » (Jean Bérenger) : ravager les campagnes pour épuiser l'ennemi, tactique qu'il utilise en Allemagne mais aussi pendant la Fronde. Louis XIV le fait enterrer dans la basilique royale de Saint-Denis, et Napoléon transfère sa dépouille aux Invalides.
Turgot (Anne Robert Jacques),
baron de l'Aulne, contrôleur général des Finances de 1774 à 1776, dernier grand ministre réformateur de l'Ancien Régime (Paris 1727 - id. 1781).
Issu d'une famille noble d'origine normande, il est le troisième fils de Turgot de Sousmons, président au parlement et prévôt des marchands de Paris. On le destine à l'Église : élève des jésuites, séminariste à Saint-Sulpice, il est élu prieur de la Sorbonne (1749). Mais ce théologien agnostique se fait magistrat dès la mort de son père.
Un penseur et un réformateur.
• Substitut du procureur général (1751), conseiller au parlement de Paris (1752), puis maître des requêtes (1753), il est aussi un philosophe habitué des salons, qui rédige en 1750 un optimiste Tableau philosophique des progrès successifs de l'esprit humain et défend la tolérance religieuse (Lettres à un grand vicaire sur la tolérance, 1753-1754). Polyglotte volontiers traducteur, vulgarisateur en sciences, il est surtout un économiste libéral, qui, disciple d'un Gournay promoteur du commerce et de l'industrie, puise aussi dans la physiocratie pour mûrir une pensée personnelle (Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, 1766). Il collabore à l'Encyclopédie en philosophe (articles « étymologie », « existence »), en physicien (« expansibilité [des gaz] »), en économiste (« fondations », « foires et marchés »). Son administration d'intendant de Limoges (1761-1774) est réformatrice : il améliore la collecte de l'impôt, convertit la corvée royale en numéraire, développe le réseau routier en employant des ouvriers salariés, met sur pied une politique d'assistance par le travail, soutient la production agricole par l'allègement des charges paysannes, contribue à promouvoir les prairies artificielles et les cultures nouvelles (pomme de terre), et met en œuvre, en 1763-1770, le libre commerce des grains. Quoique malade de la goutte, sur le conseil de l'abbé de Véri, son ancien condisciple à la Sorbonne, il est recommandé à Louis XVI par Maurepas. Devenu secrétaire d'État à la Marine le 20 juillet 1774, il se démet de cette fonction lorsqu'il accède, le 24 août, au contrôle général des Finances. Il s'entoure de physiocrates et de philosophes, tel Condorcet - nommé inspecteur général des Monnaies (et auteur, en 1786, d'une Vie de M. Turgot) -, et suspend, en 1775, l'Année littéraire du publiciste Élie Fréron, adversaire de Voltaire et des Philosophes.
« Point de banqueroute, point d'augmentations d'impôts, point d'emprunts ».
• Turgot annonce de la sorte au roi une politique de réformes permise par le déficit maîtrisé hérité de l'abbé Terray. Il diminue le train de vie de la cour et réduit les activités de la Ferme générale (mise en régie du domaine du roi, des messageries royales, des poudres, réduction des taxes d'octroi...). Surtout, il instaure une totale liberté de la circulation des grains et des farines (13 septembre 1774), en dépit d'une récolte peu abondante. L'augmentation des prix provoque en avril-mai 1775 la « guerre des farines » : de graves troubles réprimés par la troupe en Bourgogne, dans le Bassin parisien et à Paris. La bonne récolte de l'été ramène un calme inquiet. En 1775, Turgot supprime, sauf à Paris, les dépôts de mendicité, où sont internés vagabonds et mendiants, et préconise leur mise au travail ; il libère les derniers huguenots condamnés aux galères et songe, avec Malesherbes, à légaliser la présence des protestants ; il encourage les sciences, donne des statuts à l'École des ponts et chaussées, autorise en mars 1776 la création d'une Caisse d'escompte, destinée à soutenir l'activité par des prêts à faible intérêt. Mais son action, qui ébranle la société d'Ancien Régime, suscite de violentes protestations de la part des parlementaires. En mars 1776, un lit de justice est nécessaire pour contraindre le parlement de Paris à enregistrer six édits réformateurs : l'un de ces édits substitue à la corvée royale un impôt dû par tous les propriétaires, privilégiés inclus ; un autre interdit les coalitions et supprime la presque totalité des jurandes, maîtrises et corporations de métiers au nom du « droit de travailler [qui] est la propriété de tout homme », rendant ainsi plus libre l'exercice des métiers urbains. Puis, dans un ambitieux Mémoire sur les municipalités, rédigé avec le concours du physiocrate Dupont de Nemours et présenté au roi au printemps 1776, Turgot vante les mérites d'une constitution qui fournirait les cadres du bien public ; il propose la formation d'assemblées de propriétaires fonciers, qui seraient associées à l'administration locale ; il définit une subvention territoriale, un impôt foncier unique payable par tous les propriétaires, et se prononce pour une instruction populaire. Devant le déchaînement des oppositions conservatrices, Turgot est renvoyé le 13 mai 1776. Il se tourne alors vers l'étude des sciences et la philosophie de la connaissance. Quoique modifiés, les communautés de métiers, la corvée royale et les dépôts de mendicité sont vite rétablis ; la législation frumentaire libérale est rapportée en 1777. En mettant fin aux réformes d'envergure, Louis XVI apaise les tensions politiques dans la perspective de la guerre d'Amérique.