Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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eau.

Longtemps considérée, avec l'air, la terre et le feu, comme l'un des quatre éléments constitutifs de la réalité universelle, l'eau est un des objets d'étude de la chimie moderne naissante.

 En 1785, Lavoisier et Laplace réalisent sa synthèse à partir d'oxygène et d'hydrogène, puis, en 1800, deux Anglais expérimentent l'électrolyse. C'est aussi au XVIIIe siècle qu'Anglais et Français (dont Buffon) imaginent un circuit général cyclique et permanent de l'eau entre l'atmosphère et la Terre. Ses modalités, précisées au cours du XXe siècle, mettent en jeu les trois états de l'élément aqueux : liquide (eau), solide (neige, glace) et gazeux (vapeur d'eau). Ces connaissances scientifiques s'intègrent peu à peu à la gestion d'une eau considérée comme une « ressource », exploitable grâce au contrôle des flux et à l'augmentation des débits.

Exploitation.

• Les rivières, dès le néolithique et jusqu'à une époque très récente - auxquelles s'ajoutent les canaux, au milieu du XVIIe siècle -, ont joué un rôle primordial dans les transports. Par ailleurs, des aménagements mettent en valeur des sols que l'abondant réseau hydrographique rend naturellement propices à l'agriculture. Moines au XIIe siècle, ingénieurs néerlandais au XVIIe, experts contemporains, ont progressivement assuré le drainage de deux millions d'hectares, avant tout dans l'Ouest océanique. Inversement, l'irrigation a permis depuis deux siècles l'extension de cultures telles que celle du maïs, ou des produits maraîchers en zone périurbaine et dans le Midi. Enfin, l'industrie a reposé, jusqu'au XIXe siècle, sur l'association du bois et de l'eau. Cette dernière intervenait comme matière brute dans des opérations telles que le nettoyage des peaux ou la dilution de colorants mais, surtout, elle constituait l'énergie motrice des nombreux moulins qui animaient, depuis le Moyen Âge, l'outillage des industries de transformation. Vers 1900, aux roues des moulins ont succédé des turbines productrices d'électricité, cependant que les machines à vapeur d'eau ont démultiplié les capacités productives. Aujourd'hui, la moitié de l'eau consommée en France l'est par l'industrie, non seulement sur les sites naturels, mais aussi grâce au réseau d'adduction jusqu'aux lieux de son emploi.

Adduction et déjections dans les sociétés préindustrielles.

• Du Ier au Ve siècle, dans toute cité gallo-romaine de quelque importance, des aqueducs alimentent et des égouts débarrassent de leurs eaux usées les thermes publics, les fontaines de puisage destinées aux besoins quotidiens, les fontaines monumentales et celles, privées, des demeures patriciennes. Les conditions d'accès à l'édilité autant que la recherche de l'illustration personnelle et collective obligent les notables à pourvoir leur cité de tels équipements. Mais les mutations qui bouleversent la société gauloise des Ve et VIe siècles conduisent à l'abandon des réseaux urbains d'alimentation en eau courante : les thermes servent de bâtiments ecclésiaux, les aqueducs, de carrières de pierres. Les conditions sanitaires, que caractérise l'interruption de la « chasse » des eaux sales par les flux d'eau vive, évoluent peu pendant plus d'un millénaire. Le défaut d'hygiène par manque d'eau favorise l'apparition de la gale, de la lèpre et du typhus, alors même que la fréquente proximité des puits d'alimentation et des puisards où s'accumulent les déchets multiplie les maladies telles que les dysenteries, la poliomyélite ou le choléra. La peur de la contamination des puits s'exprime régulièrement dans la recherche de boucs émissaires : juifs jusqu'au XIVe siècle, protestants et catholiques lors des guerres de Religion... Parallèlement, la conservation de l'eau potable demeure, jusqu'au XIXe siècle, un problème crucial. De sorte que la consommation régulière de vin, de bière ou de cidre, qui est un substitut à l'absorption d'une eau souvent dangereuse pour la santé, est, dans l'ancienne France, un facteur d'allongement de l'existence.

À partir de la fin du XVe siècle, la douve défensive des forteresses médiévales s'élargit en ces miroirs d'eau qui font l'agrément des châteaux du Val de Loire et d'Île-de-France. Le faste des jardins palatiaux crée alors de nouveau un besoin d'adduction, et les aqueducs réapparaissent : à Paris, en 1623, celui d'Arcueil fournit en eau le palais du Luxembourg et le Quartier latin. Soixante ans plus tard, Louis XIV laisse inachevé l'aqueduc de Maintenon, mais fait édifier la gigantesque « machine de Marly », qui propulse l'eau de la Seine vers les 250 kilomètres de canalisations des jardins de Versailles. Déjà, à l'orée du XVIIe siècle, Henri IV a fait construire à la hauteur du Pont-Neuf la pompe de « la Samaritaine », qui alimente en eau de la Seine des fontaines publiques ainsi que celles des Tuileries, du Louvre et de quelques hôtels aristocratiques. Les ingénieurs français se mettent à l'école des hydrauliciens flamands et italiens ; tout au long du XVIIe siècle, les Francini œuvrent pour les premiers rois Bourbons (château de Saint-Germain-en-Laye) et la haute aristocratie (tel Gondi, archevêque de Paris, à Saint-Cloud). Au seuil du XIXe siècle, l'adduction d'eau subit une mutation quantitative et qualitative : elle accompagne désormais le mouvement d'industrialisation, permet des gains de productivité dans l'agriculture et s'adapte à la croissance d'agglomérations où se diffusent les règles sanitaires contemporaines.

L'eau dans la civilisation industrielle.

• Depuis le XVIIIe siècle, la préoccupation de l'assainissement et de l'hygiène n'a cessé de grandir chez les autorités et les particuliers, de concert avec les progrès techniques, la croissance démographique et celle des volumes d'eaux usées. Aux fontaines de l'urbanisme classique, puis aux complexes dispositifs circulatoires qui transforment au cours du XIXe siècle la « ville-dépotoir » en une ville salubre, répondent les aménagements domestiques : les salles de bains, dont les élites sociales se dotent à partir de 1730, se démocratisent lentement jusqu'à la fin des années 1960. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l'eau à domicile se fait « courante » dans les grandes villes ; la mention « eau et gaz à tous les étages » apposée sur les récents immeubles bourgeois y signale ce confort moderne, dont la France rurale ne bénéficiera que dans la seconde moitié du XXe siècle. Les maladies épidémiques reculent : le choléra et la typhoïde disparaissent à Paris après 1850, bien que le tout-à-l'égout n'y soit définitivement adopté qu'en 1894.