barricades. (suite)
C'est au milieu des barricades que s'effondre la monarchie de Juillet. Les premières surgissent dans la soirée du 22 février 1848, à l'issue d'une journée de manifestations. Artisans, boutiquiers et commis, fins connaisseurs des quartiers insurgés, se lancent dans la bataille, aidés ici et là par des étudiants ou par des dirigeants de sociétés secrètes. Plus d'un millier de barricades sont érigées face à des troupes indécises et peu enclines à verser le sang, d'autant que Louis-Philippe renonce vite à l'épreuve de force.
Drames et métamorphoses.
• En juin 1848, de multiples fractures, d'ordre géographique, économique, social ou culturel, conduisent Paris à la guerre civile. Près de quatre mille barricades, certaines plus massives et plus redoutables que jamais, se dressent à l'est d'une ligne joignant la rue Saint-Jacques et la rue du Faubourg-Montmartre. Les combats sont particulièrement meurtriers de part et d'autre : quatre mille morts environ contre moins d'un millier en juillet 1830. Ce terrible choc pèse sur les années suivantes. Le petit nombre de barricades (une centaine seulement) élevées à l'annonce du coup d'État du 2 décembre 1851 témoigne de la faible mobilisation des opposants à Louis Napoléon Bonaparte. Une poignée de députés montagnards tentent en vain de soulever les quartiers populaires. Ils ajoutent cependant un chapitre à l'histoire des barricades : c'est sur l'une d'elles qu'est tué le député Baudin.
Le Paris impérial ne connaît pas d'insurrection. La police veille, et la population ne s'agite guère, tandis que les grands travaux d'urbanisme du baron Haussmann éventrent les réseaux de ruelles si propices au combat urbain. L'image subversive et romantique des barricades se perpétue pourtant, notamment parmi les exilés. Dans les Misérables (1862), Victor Hugo consacre des chapitres entiers à la barricade de la rue de la Chanvrerie, où se retrouvent Jean Valjean, Marius et Gavroche en juin 1832, mais aussi à celles de juin 1848 : la « Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple ». Le révolutionnaire Auguste Blanqui songe pour sa part à en accroître l'efficacité. Contre l'improvisation et le gaspillage des énergies, il préconise une rationalisation de la construction, une unité de commandement et une véritable insertion de la barricade dans l'espace urbain. À la chute de l'Empire et face à la menace des armées étrangères, la barricade redevient naturellement le symbole du peuple uni. Une commission des barricades est ainsi établie par le gouvernement de la Défense nationale. Mais le sanglant épilogue de la Commune vient anéantir, une fois encore, l'union un moment rêvée. Les versaillais, dans leur reconquête de la capitale, s'emparent sans coup férir des barricades fortifiées que les communards ont construites les semaines précédentes, empilements colossaux de sacs de sable, plus impressionnants qu'efficaces. La résistance est plus âpre autour du demi-millier de barricades érigées en hâte dans les quartiers populaires de Popincourt, de la Roquette, de la Villette ou de Belleville.
Les barricades entre l'histoire et le mythe.
• L'histoire des barricades change progressivement de sens après la Commune. Leur aspect se modifie, et les techniques évoluent : la voiture renversée ou l'usage du cocktail Molotov marquent l'entrée dans le XXe siècle ; si elles influent de moins en moins sur le cours des combats, elles galvanisent plus que jamais les volontés. Enfin, elles cessent d'incarner un Paris républicain, révolutionnaire, populaire. Des mouvements d'extrême droite en font à deux reprises une arme de combat. Ainsi, le 6 février 1934, ce sont les ligueurs les plus activistes qui dressent des barricades autour de la place de la Concorde. Ainsi, du 24 janvier au 1er février 1960, Alger connaît une « semaine des barricades » : aux combats meurtriers du premier soir succèdent des journées d'attente et de négociations dans les quartiers insurgés ; une partie de la population algéroise apporte son soutien aux hommes de Joseph Ortiz ou de Pierre Lagaillarde, dans une atmosphère de fête ; et, pour la première fois dans l'histoire des barricades, la défaite des insurgés prend la forme d'une reddition.
Les barricades dressées face aux troupes allemandes au mois d'août 1944 ne ressemblent également que de loin aux précédentes. « Que toute la population parisienne, hommes, femmes, enfants, construise des barricades, que tous abattent des arbres sur les avenues, boulevards et grandes rues. Que toutes les petites rues soient particulièrement obstruées par des barricades en chicane. [...] Tous aux barricades ! » tel est l'appel lancé aux Parisiens par Rol-Tanguy, chef de l'insurrection. Cependant, même si les Allemands perdent beaucoup d'hommes et de temps dans les combats de rue, ceux-ci tiennent une place secondaire dans une stratégie militaire de grande envergure ; l'inadaptation et la fragilité de nombreuses barricades d'août expliquent d'ailleurs le lourd tribut - environ 1 500 morts - payé par les insurgés.
Mai 1968 marque une étape décisive dans l'idéalisation des barricades. Les combats de rue n'ont plus la terrible violence d'antan, et les grandes barricades restent circonscrites au seul Quartier latin, la contestation s'exprimant plus volontiers par la grève, l'occupation des locaux (universités, usines, etc.) ou la manifestation. Pourtant, les affrontements de la « nuit des barricades » (10-11 mai) ont un impact considérable sur une opinion publique qui suit les assauts « en direct ». Entre la peur et l'enthousiasme, entre la dénonciation des brutalités policières et le refus du désordre, l'intensité des réactions montre que les barricades sont profondément enracinées, aujourd'hui encore, dans la conscience collective.