Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Louis XV (suite)

Fleury est bientôt confronté au renouveau de l'opposition janséniste et parlementaire. En 1727, la querelle rebondit après l'expulsion de son diocèse de Mgr Soanen, évêque de Senez, qui défend la doctrine condamnée. Aux yeux des curés de Paris, soutenus par les Nouvelles ecclésiastiques, qui entretiennent la flamme janséniste, l'exilé fait figure de martyr. En outre, d'étranges « miracles » se produisent sur la tombe du diacre Pâris - janséniste notoire -, autour de laquelle des illuminés se livrent à des crises d'hystérie qui s'apparentent autant à l'extase mystique qu'à la possession diabolique. Pour faire cesser le scandale des « convulsionnaires » et mettre fin en même temps au mouvement janséniste - que soutient toujours le parlement -, pressé par Fleury, Louis XV décide l'enregistrement forcé de la bulle Unigenitus, proclamée, cette fois, loi du royaume (1730). À l'occasion de cette querelle d'essence religieuse, deux traditions s'affrontent : celle de la monarchie absolue et celle de la monarchie contrôlée par les corps intermédiaires.

Malgré ses intentions pacifistes, Fleury est contraint d'engager la France dans deux conflits. Par la guerre de la Succession de Pologne (1733-1738), il s'agit de défendre la candidature de Stanislas Leszczynski au trône de Pologne contre une coalition austro-russe. Malgré les échecs français (Dantzig, 1734), ce conflit s'achève par un traité avantageux pour le royaume : le duché de Lorraine et le comté de Bar sont concédés à Stanislas, et reviendront à la France quand ce dernier mourra (1766).

En 1740, le vieux cardinal fait entrer la France dans une coalition regroupant la Prusse, plusieurs princes allemands, l'Espagne et les Deux-Siciles. Ces puissances ont refusé de reconnaître Marie-Thérèse pour impératrice d'Autriche. Mais cette dernière, contrainte de céder la Silésie à Frédéric II de Prusse, qui se retire du combat (juin 1742), se tourne bientôt contre ses autres adversaires, obligeant ainsi les Français à battre en retraite. Soutenue par les Anglo-Hanovriens, elle constitue contre eux une coalition qui pénètre en Alsace en juin 1744. À la tête des armées, Louis XV se rend jusqu'à Metz, où il manque d'être terrassé par une fièvre maligne. La reprise de la guerre par Frédéric II sauve la France d'une situation critique. Le 11 mai 1745, la victoire française de Fontenoy, où s'illustre le roi, permet l'invasion des Pays-Bas autrichiens, puis celle des Provinces-Unies. Louis XV se trouve alors en position de force. Mais, au traité d'Aix-la-Chapelle (28 octobre 1748), refusant de négocier « en marchand », il ne garde aucune de ses conquêtes, semblant ainsi ne pas se soucier de consolider la frontière du Nord. L'opinion est ulcérée. On dit qu'on « a travaillé pour le roi de Prusse ».

Le roi impopulaire : 1748-1774

La popularité du roi, qui a atteint son zénith au moment de Fontenoy, commence à se ternir. La paix d'Aix-la-Chapelle marque un moment de rupture évident dans l'histoire du règne. Cette guerre, qui s'achève sans le moindre avantage pour la France, a beaucoup pesé sur le budget. En outre, les médiocres récoltes de 1747-1748 contribuent à aigrir l'opinion populaire. Les dépenses de la cour, la liaison du roi avec Mme de Pompadour, qui a succédé dans la couche royale aux quatre filles du marquis de Nesle, accréditent l'idée que le monarque se laisse gouverner par des intrigantes avides d'argent et qu'il se moque de son peuple. On colporte même les plus folles rumeurs lorsqu'on apprend que plusieurs enfants ont été enlevés dans Paris. On ose parler d'un Louis XV-Hérode ! Dans les milieux éclairés, l'offensive philosophique, relayée par les académies et les sociétés savantes, fustige l'absolutisme royal et l'intolérance religieuse.

En 1743, à la mort de Fleury, le roi a de nouveau manifesté son intention de gouverner seul. Il n'a pas choisi de principal ministre, mais a désigné des secrétaires d'État appartenant à la fois au parti philosophique, que défend Mme de Pompadour, et au parti dévot, qui est celui de la famille royale. Rivaux entre eux, ces dignitaires s'affrontent en présence du monarque, ce qui encourage les parlements et les autres cours souveraines à revendiquer un rôle politique accru. Les magistrats veulent s'ériger en conseillers du prince. Le conflit devient sérieux en 1749, lorsque Machault d'Arnouville, contrôleur général des Finances, tente de remplacer l'impôt du dixième par celui du vingtième, qui doit frapper tous les revenus, à l'exception des salaires. Le parlement et le clergé s'élèvent contre cette mesure. Après bien des atermoiements, le roi exempte le clergé de cette contribution, rallumant l'opposition janséniste et celle des parlementaires, qui se mettent à critiquer toutes les décisions royales. L'attentat contre le souverain, blessé par le valet de chambre Damiens, le 5 janvier 1757, ne suscite guère d'émotion dans le pays. Peu après, Louis XV se sépare de ses ministres et finit par appeler le duc de Choiseul.

Lorsque ce dernier, bon spécialiste des affaires étrangères, de la guerre et de la marine, arrive au pouvoir en 1758, Louis XV est engagé dans un nouveau conflit, la guerre de Sept Ans. En 1755, sans déclaration de guerre, les Anglais ont attaqué les Français, sur mer. Frédéric II venant de s'allier à la puissance britannique, Louis XV accepte volontiers l'offre d'alliance défensive que lui fait Marie-Thérèse d'Autriche contre les Anglo-Prussiens. En rupture avec la politique traditionnelle de la France, ce renversement des alliances est scellé au traité de Versailles, le 1er mai 1756. Tout comme il a été la dupe de Frédéric II, Louis XV va être celle de l'impératrice. Il se fait le défenseur de l'Autriche avec le même acharnement qu'il en a été l'adversaire. Les armées françaises volent au secours de Marie-Thérèse dès qu'elle est attaquée par la Prusse, alors que la marine royale est obligée de livrer combat sur plusieurs fronts contre l'Angleterre. Les échecs se multiplient, sur terre et sur mer. À l'issue de sept ans de conflit, au traité de Paris, le 10 février 1763, Louis XV est contraint de reconnaître la fin de sa domination sur le Canada et sur la Louisiane ; il perd les territoires conquis en Inde, et garde à grand-peine ses possessions aux Antilles. La France conserve l'alliance autrichienne, très impopulaire et violemment critiquée, ainsi que celle avec l'Espagne (« pacte de Famille »), conclue en 1761. Le gouvernement ne bénéficie plus d'aucun crédit, et la nation ressent douloureusement cet abaissement. Pour comble d'humiliation, la France verra les Allemands, apparemment irréconciliables, se rapprocher à son insu, s'entendre à ses dépens, et partager, de concert avec la Russie (1772), les dépouilles de la Pologne, l'une des plus anciennes clientes de la monarchie française. Et l'acquisition de la Corse (1768) ne suffit pas à redorer l'image du ministère.