Louis IX (suite)
C'est dans ce souci de consolidation de l'autorité royale qu'il faut situer ses réformes monétaires, qui s'échelonnent de 1262 à la fin de son règne. Le roi décrète (1263-1266) que sa monnaie, à la différence de celles de ses barons, aura cours dans tout le royaume. La création du « gros tournois » d'argent est un véritable succès, qui se confirmera jusqu'au XIVe siècle.
Le roi et l'Église
La piété est l'élément dominant du comportement public de Louis IX. Le roi a été assidu aux offices, à la lecture de ses heures, et surtout aux sermons, et très attaché à la visite des sanctuaires, à la vénération des reliques, à l'obtention des indulgences. Ayant acheté fort cher à l'empereur Baudouin II de Constantinople les reliques de la Passion, il fait bâtir pour elles la Sainte-Chapelle de Paris (1242-1247). Sa dévotion s'exprime aussi dans le cadre traditionnel de la prière pour les morts : il fonde le monastère cistercien de Royaumont ; à Saint-Denis, il fait réaménager les tombeaux de la nécropole royale, et réserve désormais la sépulture dans la basilique aux seules personnes qui ont porté la couronne. Prodiguant ses libéralités aux ordres nouveaux voués à la pauvreté, il participe activement aux œuvres d'assistance, multipliant les aumônes, bâtissant des hôtels-Dieu, confiés en particulier aux trinitaires. Il tient à servir lui-même les pauvres, et tout spécialement les lépreux.
Si son incontestable piété fait de lui un fils dévoué de l'Église, il n'abandonne aucune des prérogatives de la royauté, notamment en matière de régale des évêchés. Il se refuse à prêter l'aide du bras séculier pour renforcer les sentences d'excommunication ; il l'accorde pour la lutte que mène l'Inquisition contre l'hérésie cathare, mais il n'a pas pris lui-même d'initiative dans ce domaine. Il fait détruire par le feu les exemplaires du Talmud, à la suite de la dénonciation de la présence de passages « blasphématoires » dans ce livre. D'autre part, les juifs ont été particulièrement visés par sa lutte contre l'usure : il a prétendu leur interdire cette pratique.
Soucieux de ne pas prendre parti dans la querelle entre la papauté et l'Empire, il refuse d'accueillir Innocent IV dans le royaume ; mais il lui assure une protection indirecte pendant son séjour à Lyon, ville d'Empire. L'extension de la juridiction ecclésiastique a amené les barons français à adhérer à certaines thèses impériales ; le roi de France a accordé un soutien modéré à ce mouvement, tout en cherchant lui aussi à limiter cette extension.
En revanche, il appuie vigoureusement l'installation des franciscains et des dominicains, dont il apprécie la culture, et qu'il a invités à participer à ses enquêtes. Il les épaule dans leur conflit avec les universitaires parisiens, et s'attire ainsi les sarcasmes du poète Rutebeuf, qui l'accuse d'être dominé par les « mendiants ».
La fin du règne
Le souci de la conservation de la Terre sainte ne quitte pas le roi Louis. Cette préoccupation est connue jusque chez les Mongols, avec lesquels il est entré en rapport dès 1249 en leur envoyant André de Longjumeau. En 1262, le khan de Perse, Hulegu, lui écrit pour lui proposer une alliance contre les mamelouks d'Égypte. La reprise de la guerre avec ceux-ci, en 1263, est à l'origine de la décision de Louis, en 1267, de se croiser une seconde fois.
Comme lors de la première croisade, le roi prépare avec soin son expédition. Il prend la mer le 1er juillet 1270 ; à l'escale de Cagliari, il désigne Tunis comme but de la campagne, soit parce qu'il a été informé de l'intention du roi de ce pays de se faire chrétien, soit parce qu'il a appris que les Mongols demandaient un délai. Le débarquement réussit, mais les espoirs de conversion de l'émir musulman s'évanouissent. Une épidémie - de typhus ou de dysenterie - décime l'armée ; le roi, très affaibli, meurt devant Carthage le 25 août 1270. Son frère Charles d'Anjou, dont il avait accepté qu'il devînt roi de Sicile, arrive à temps pour faciliter la retraite de l'armée ; mais une tempête détruit les vaisseaux, et la croisade prend fin.
De la canonisation aux controverses
Après l'ensevelissement des entrailles du roi à Monreale, en Sicile, son corps est ramené en France pour être enterré dans la nécropole de Saint-Denis. Déjà, on mentionne des faits miraculeux, à la fois en Sicile et à Saint-Denis. Néanmoins, il en faut plus à la curie romaine pour accepter la sainteté du défunt monarque. C'est pourquoi le pape Grégoire X demande au confesseur du roi, Geoffroi de Beaulieu, d'écrire une vie de celui-ci qui permettra d'ouvrir une enquête et un procès de canonisation. D'abord secrète, l'enquête revêt un caractère public sous Nicolas III, et solennel sous Martin IV. C'est finalement Boniface VIII qui proclame la canonisation, le 11 août 1297.
Les dépositions des témoins ont été partiellement utilisées par le confesseur de la reine Marguerite, Guillaume de Saint-Pathus, auteur d'une Vie du roi et du recueil de ses Miracles. Il s'agit pour lui, conformément au schéma de l'enquête, de montrer comment le comportement du roi répondait à la pratique des vertus attendue d'un saint. Ces œuvres hagiographiques ne donnent évidemment guère la dimension politique du règne. Heureusement, l'une des filles de Louis IX s'avise de demander à l'un des témoins de l'enquête de Grégoire X, Jean de Joinville, alors presque octogénaire, de rapporter ses souvenirs relatifs au roi, dont il a été le confident et le conseiller ; par leur franchise, les Mémoires de Joinville restent un témoignage d'une exceptionnelle valeur historique.
Dès lors, le culte du saint roi est largement diffusé. Sa mémoire demeure très présente chez les sujets du royaume, qui ne se font pas faute d'opposer les tares des règnes suivants à une image idéalisée du temps de Saint Louis ; et sa « bonne monnaie » contribue à renforcer cette image, au moment où sévissent les affaiblissements monétaires. Charles V fait de Saint Louis son modèle. Mais c'est avec les Bourbons, qui se réclament d'un lien particulier avec le saint roi, que celui-ci devient le patron de la monarchie.