Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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monnaie (suite)

Il faut toute l'autorité du Premier consul pour imposer, en 1800 avec la création de la Banque de France, puis en 1803 avec celle du franc germinal, des règles qui assureront le triomphe du billet de banque. Même si elle reste de statut privé (jusqu'en 1945), la Banque de France est étroitement liée à l'État, qui nomme son gouverneur et ses deux sous-gouverneurs. C'est lui qui accorde à la Banque le privilège d'émission, d'abord dans la région parisienne, puis, après absorption des banques d'émission fondées dans certaines grandes villes de province, pour l'ensemble du territoire national en 1848. C'est lui, enfin, qui l'oblige à assurer la convertibilité des billets en or ou en argent, sauf lors des périodes de troubles ou de guerre où il décrète le cours forcé de la monnaie (1848-1850, et 1870-1878).

Même si aucune obligation légale n'impose à la Banque de France de garder en réserve métallique une fraction des billets mis en circulation, ses dirigeants observent une extrême prudence. Jusque vers 1860, les billets émis restent de grosses coupures, dont l'usage est limité au monde des possédants, la majorité de la population continuant à utiliser la monnaie métallique. L'escompte des effets de commerce demeure circonscrit aux traites revêtues de trois signatures, qui ne risquent pas de revenir impayées à l'échéance. La création monétaire progresse donc avec lenteur, d'autant que les gouverneurs, qui restent souvent longtemps en fonctions, ne peuvent prendre de décisions qu'en s'appuyant sur le Conseil de régence, qui est composé des représentants des deux cents plus gros actionnaires de la Banque, c'est-à-dire de l'oligarchie financière et industrielle du pays.

Parallèlement, le franc germinal fait figure de grande monnaie, grâce à la démonétisation progressive de l'argent. On a maintenu, en 1803, le bimétallisme traditionnel. Mais la dégradation du rapport commercial entre l'or et l'argent, due à la surproduction des mines d'argent, impose une redéfinition du système : en 1870, 1 kilo d'or s'achète moyennant 18 kilos d'argent, alors que, selon la parité légale, le rapport est de 1 à 15,5. Pour éviter des fuites d'or vers l'étranger, la frappe libre de l'argent est supprimée en 1878. La France est devenue, de fait sinon de droit, monométalliste, à l'instar des principaux autres pays industrialisés du monde.

Le billet de banque peut alors triompher : la multiplication des échanges, à l'intérieur du pays et avec le reste du monde, le désenclavement des régions rurales, l'expansion des réseaux bancaires, contribuent à répandre partout son usage. À la fin du XIXe siècle, il représente près du tiers des disponibilités monétaires. Mais ce succès ne nuit pas à la stabilité monétaire. Les hausses et les baisses des prix, rythmées par de grands mouvements qui alternent tous les vingt-cinq ans environ, demeurent modérées. Les effets sociaux ne peuvent être que bénéfiques aux classes possédantes, tout en permettant la lente mais indéniable progression du niveau de vie des masses populaires.

Durant cette période, la monnaie remplit bien le rôle assigné par les économistes de l'école classique, à commencer par le fondateur de celle-ci en France, Jean-Baptiste Say. Pour lui, la monnaie, étalon de valeur, instrument de paiement, est un simple rouage incapable de créer des richesses et d'influencer l'équilibre économique. Pourtant, le billet de banque, même convertible, forme une nouvelle monnaie qui s'ajoute aux pièces d'or en circulation - mais ne les remplace pas -, et résulte d'une création bancaire autonome. Beaucoup, et même des économistes aussi avertis des réalités de leur temps que Michel Chevalier (1806-1879), s'obstinent à nier ce phénomène, ne reconnaissant la qualité de monnaie qu'aux espèces métalliques. Leur attitude est significative de l'attachement persistant à l'or, qu'un long passé d'insécurité monétaire a fortement ancré dans l'esprit des Français.

Le xxe siècle : monnaie de banque et monnaie dirigée

Lorsqu'elle crée de la monnaie, la Banque de France, comme toute banque centrale, répond à une demande émanant des banques commerciales, qui, ayant escompté les traites présentées par leurs clients, recourent à elle pour préserver leur liquidité et sollicitent son réescompte. Le crédit bancaire est donc, pour partie, à l'origine de la création de monnaie fiduciaire. Mais les banques commerciales peuvent, elles aussi, devenir pleinement créatrices de monnaie. Il leur suffit de développer les crédits au-delà des sommes théoriquement nécessaires au remboursement en or ou en billets des dépôts qu'elles collectent. Grâce à l'usage du virement et du chèque, réglementé en France par une loi de 1865, circule alors entre leurs clients une véritable monnaie, dite « scripturale » puisqu'elle résulte de jeux d'écritures entre les comptes courants. S'ajoutant aux pièces métalliques et aux billets, elle traduit la place croissante qu'occupent les banques dans les rouages de l'économie nationale.

En France, la monnaie scripturale s'affirme essentiellement dans le dernier tiers du XIXe siècle. Dès 1894, le niveau des comptes courants bancaires dépasse celui des billets en circulation. Vingt ans plus tard, l'embargo sur l'or et la proclamation du cours forcé du billet, qui est désormais inconvertible, suscitent la disparition définitive de la monnaie métallique. La monnaie fiduciaire la remplace : les billets, auxquels on peut joindre la monnaie divisionnaire, constituée par les pièces de divers alliages (bronze, acier, nickel, aluminium), et dont la valeur est purement conventionnelle, composent plus de la moitié de la masse monétaire. Mais la montée en puissance de la monnaie de banque est irrésistible. Après la Seconde Guerre mondiale, elle relègue peu à peu la monnaie fiduciaire à un rôle d'appoint. Aujourd'hui, les comptes courants créditeurs dans les banques représentent près de 90 % des disponibilités monétaires. Encore faudrait-il y ajouter tous les autres avoirs financiers productifs d'intérêts et instantanément convertibles en monnaie par leurs détenteurs, qui, pour cette raison, sont appelés par les économistes la « quasi-monnaie » (comptes à terme, livrets d'épargne, placements de trésorerie...). D'ores et déjà, ils rassemblent un montant deux fois supérieur à celui des disponibilités monétaires au sens strict.