avortement. (suite)
Des sanctions sévères mais inefficaces.
• Les sanctions incombaient aux justices seigneuriales, leur sévérité pouvant être atténuée lorsque l'avortement était dû à l'impossibilité de nourrir l'enfant plutôt qu'au souci de cacher « le crime de fornication ». La peine était également moins lourde lorsque étaient victimes de l'avortement les fœtus masculins de moins de soixante jours et les fœtus féminins de moins de quatre-vingts jours, termes considérés comme les temps de passage de l'inanimé à l'animé, plus tardifs pour la fille que pour le garçon. Le Code d'Henri III de 1556 punissait de mort, au nom du roi, l'avortement qui privait l'enfant de baptême, cette disposition étant confirmée sous Henri III en 1586, sous Louis XIV en 1707, puis sous Louis XV en 1731. La sévérité constante des textes n'eut cependant que des effets limités, et les cas d'avortements donnant lieu à procès furent relativement rares, car ils touchaient à un secret de famille rarement dévoilé.
C'est seulement en 1923 que l'avortement cesse d'être considéré comme un crime. Désormais qualifié de délit, il n'est plus passible de la cour d'assises mais du tribunal correctionnel, et n'est plus pénalisable que par l'emprisonnement et des amendes. Cet adoucissement de sanctions qui n'avaient été que rarement appliquées dans toute leur rigueur théorique a pour contrepartie de priver l'inculpée, et ceux qui ont pu l'assister, de l'indulgence, fréquente, des jurys populaires et de les soumettre à la sévérité des juges. Le Code de la famille de 1939 aggrave les dispositions des textes antérieurs, puisque sont désormais également sanctionnées de lourdes peines de prison les tentatives d'avortement, tandis que l'avorteur peut être poursuivi, en cas d'accident, pour coups et blessures, voire pour homicide, devant la cour d'assises. Les membres du corps médical sont, eux, passibles de sanctions particulièrement lourdes. En 1941, enfin, un texte rétablit la peine de mort comme sanction possible de l'avortement. Cette disposition est appliquée l'année suivante, conduisant à la dernière exécution capitale d'une femme en France.
Quelle qu'ait été la volonté de sévérité du législateur, elle reste toutefois de peu d'effet dans l'entre-deux-guerres, puisque ne sont traités qu'environ 400 dossiers par an, alors que les estimations les plus basses avancent un chiffre moyen de 400 000 avortements.
Une tardive libéralisation.
• On peut parler de libéralisation lorsque l'avortement devient possible à la demande de la femme pour des raisons de santé physique ou psychologique. En France, cette libéralisation remonte aux lois de janvier 1975, décembre 1979 et décembre 1982 relatives à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Le vote du texte de 1975 a été précédé par la démonstration de la non-application de la loi, notamment lors du procès de Bobigny (1972), à l'occasion duquel 343 femmes signent une pétition demandant la légalisation de l'avortement et reconnaissent y avoir eu recours. Le manifeste, signé l'année suivante par des médecins déclarant avoir pratiqué l'avortement, ne suscite aucune poursuite. C'est dans ce contexte que le gouvernement fait voter, en décembre 1974, contre la volonté de la majorité et grâce aux voix de la gauche, le texte défendu par Simone Veil. Ses dispositions, promulguées en 1975, sont confirmées en 1979, et complétées en 1982 par une loi sur le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale.
La libéralisation de l'avortement intéresse l'ensemble des démocraties. Elle intervient en France après l'Abortion Act britannique (1967), et peu de temps avant que des dispositions semblables soient adoptées en Allemagne (1976), en Italie (1981), en Espagne (1986), en Belgique (1990) ou même en Irlande (1995).