Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

crise des années trente

La crise française des années trente s'inscrit dans le contexte mondial de la Grande Dépression.

Celle-ci, selon l'historiographie traditionnelle, débute avec le krach boursier de Wall Street du 29 octobre 1929, puis gagne l'ensemble des pays d'économie libérale au cours des deux années suivantes, provoquant un véritable effondrement social et une déstabilisation des démocraties européennes, générateurs du conflit mondial de 1939-1945. Malgré quelques signes annonciateurs, peu ou mal perçus, dès la fin des années vingt, la France est frappée par le marasme économique au cours de l'année 1931. Mais il est nécessaire de souligner la singularité du cas français. Le pays connaît en effet une crise multiforme - sociale, politique, morale, idéologique - qui culmine lors des événements du 6 février 1934 et qui révèle l'exaspération des passions.

La crise économique et ses effets sociaux

Le premier problème que l'on rencontre à propos de la crise économique française des années trente concerne la chronologie de son déclenchement. Contrairement à la thèse longtemps soutenue d'une crise qui n'aurait touché la France que tardivement, durant le second semestre de l'année 1931, des recherches récentes ont montré le caractère précoce du retournement de conjoncture dans l'Hexagone : dès 1928, la production textile, suivie en 1929 par les activités sidérurgique et automobile, amorce un repli ; le solde de la balance commerciale se dégrade à partir de 1928, tandis que les cours en Bourse fléchissent à partir de février 1929. Ces signes d'un ralentissement, attribué pour partie à la stabilisation du franc par Raymond Poincaré en 1928, qui aurait réduit l'avantage de change résultant de la dépréciation monétaire, restent toutefois invisibles : dans des secteurs traditionnels, tel le textile, activité en osmose avec le milieu rural, le sous-emploi peut être aisément absorbé par les tâches agricoles. En outre, les statistiques concernant les chômeurs ne seront élaborées qu'à partir de 1931. La propagation de la dépression, toutefois, n'intervient qu'à partir du troisième trimestre de 1931, en liaison avec la dévaluation de la livre sterling, le 21 septembre 1931, qui rend attractifs les produits étrangers et renchérit les exportations françaises. Tout indique que la crise s'accuse : le recul de la production industrielle, l'accroissement du nombre de chômeurs, la diminution du volume des échanges et le déficit extérieur, et, enfin, résultant de tout cela, le déficit budgétaire, qui devient chronique.

Si la chronologie de l'entrée dans la crise reste un sujet de controverses, les historiens s'accordent sur la moindre ampleur du phénomène - plus limitée qu'ailleurs - et sur sa persistance exceptionnelle. Contrairement aux autres grands pays industriels, le recul de la production industrielle entre 1930 et 1935 n'a en effet pas dépassé 27 % ; le nombre de chômeurs, aux alentours d'un million, reste bien en deçà du chômage massif qui frappe les États-Unis et l'Allemagne. En outre, alors qu'à partir de 1933 des signes de reprise apparaissent dans d'autres pays, la France s'enfonce plus profondément dans la crise, et atteint le creux de la vague en 1935. Ces deux caractéristiques - moindre brutalité et prolongement de la crise - résultent de la faiblesse des structures de l'économie française (dont les entreprises, de taille réduite, sont moins intégrées au échanges internationaux et moins dépendantes du crédit) mais aussi de la politique adoptée par les gouvernements successifs. Ceux-ci recourent en effet au protectionnisme autant pour assurer la survie d'un appareil productif menacé que pour maintenir un équilibre social fondé sur la prédominance d'une classe moyenne indépendante de petits et moyens producteurs : à partir de 1931, un système de contingentements limite la quantité de produits importables. Pour freiner la baisse des prix, l'État encourage un certain malthusianisme, en incitant, par exemple, les agriculteurs à dénaturer une partie de la production de vin ou de sucre (distillations), ou en poussant les producteurs industriels à conclure des accords de cartellisation. Si ces mesures parviennent à ralentir le mouvement des faillites, elles figent les situations acquises et freinent l'investissement : l'effet immédiat de la crise est amorti, mais l'avenir est obéré et la fin des difficultés, retardée.

Un autre choix politique - le maintien de la valeur du franc - a également pesé dans l'approfondissement de la crise. L'économie française s'est trouvée particulièrement pénalisée par la dévaluation de la livre sterling : le changement de valeur de la monnaie britannique, suivi par la dépréciation de quarante autres monnaies, introduit un écart important entre les prix mondiaux et les prix français, surévalués de 20 %. Le flottement et la dévaluation du dollar, en 1933-1934, accroissent encore la différence. Mais, dans le domaine monétaire, il existe alors en France un sentiment quasi unanime, chez les gouvernants de droite ou de gauche et dans l'opinion publique, pour repousser l'idée de dévaluation, jugée à la fois « malhonnête », puisque portant atteinte à l'épargne, et « dangereuse », car susceptible de déchaîner l'inflation. Aussi, les gouvernements recourent-ils dès 1933 à des pratiques déflationnistes destinées, par la réduction de la masse monétaire, à provoquer une baisse du niveau des prix français. Édouard Daladier en 1933, Gaston Doumergue en 1934 et, surtout, Pierre Laval en 1935 mettent en œuvre une politique de réduction des dépenses publiques en décrétant la baisse des traitements des fonctionnaires ; Laval décide même une diminution autoritaire des prix des produits de première nécessité afin de permettre aux entreprises d'alléger leurs coûts salariaux. Ces efforts n'aboutissent guère ; il semble même que, du fait de la crise de pouvoir d'achat qui résulte de la politique déflationniste, la sous-consommation ait encore aggravé la situation économique. La dépression atteint l'ensemble des Français, soit directement, par la crise du système productif, soit indirectement, par l'effet des mesures prises pour lutter contre elle.