République (IIIe). (suite)
La poussée démocratique des premières années du siècle.
• Les radicaux se présentent volontiers comme l'« avant-garde démocratique », dont le programme est dominé par deux objectifs : la laïcisation et la républicanisation de la France.
La politique de laïcisation est en partie une réponse à l'engagement de certaines congrégations religieuses dans le combat antidreyfusard, tels les Pères assomptionnistes par le biais du journal la Croix. L'action de ces « moines ligueurs » paraît d'autant plus dangereuse que ces organisations échappent en grande partie au contrôle de l'Église de France, liée à l'État par le Concordat de 1801. Les congrégations enseignantes sont soupçonnées d'inculquer à leurs élèves, souvent les futurs cadres de la nation, des principes contraires à ceux de la Révolution, introduisant dans les esprits des germes d'une division morale incompatible avec l'existence même de la République. Aussi, le premier volet de la politique de laïcisation vise-t-il les congrégations. La loi Waldeck-Rousseau du 1er juillet 1901 pose le principe de la liberté d'association, sauf pour les congrégations, qui devront solliciter une autorisation auprès du Parlement. Sous la pression des comités radicaux, Combes applique avec brutalité cette loi - que son auteur avait conçue dans un esprit libéral. Les autorisations sont refusées, et les congrégations non autorisées, dispersées ; une loi de 1904 interdit l'activité d'enseignement à toute congrégation, même autorisée. Cette politique, qui rend difficile l'application du Concordat, provoque, au printemps 1904, la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, puis l'adoption, le 9 décembre 1905, de la loi de séparation des Églises et de l'État. Tout en garantissant la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, la République se refuse à reconnaître ou à financer aucun de ces cultes. Le clergé cesse d'être rémunéré par l'État, qui n'a plus à intervenir dans la nomination de ses membres. Les biens nécessaires à l'exercice du culte feront l'objet d'inventaires et seront gérés par des associations cultuelles laïques. Le pape, mécontent de n'avoir pas été consulté et soupçonnant ces associations de porter atteinte au pouvoir hiérarchique des évêques, condamne la loi. Les inventaires des biens d'Église se déroulent dans une atmosphère de combat. Mais, bien que le clivage demeure très fort entre catholiques et anticléricaux, la loi de séparation fait finalement passer au second plan la « question religieuse ».
La politique de républicanisation - autre aspect essentiel de la défense républicaine - est, elle aussi, menée très différemment par Waldeck-Rousseau et par Combes. Le premier se borne, en plaçant le recrutement des officiers sous la responsabilité directe du ministre, à affirmer le principe de la supériorité du pouvoir civil sur le commandement militaire. Le second, partisan d'un véritable « gouvernement militant », incite les « bons républicains » à exercer une surveillance sur tous les fonctionnaires afin d'éprouver leur fidélité à la République. La majorité de la Chambre ne le suit pas ; il démissionne en janvier 1905, à la suite de l'affaire des Fiches (un système de renseignement sur les convictions politiques et religieuses des officiers).
Cette œuvre de laïcisation et de républicanisation, qui met en cause les autorités traditionnelles et bénéficie d'un réel appui populaire, s'inscrit dans un contexte plus large de démocratisation du régime. Le personnel parlementaire qui siège à la Chambre à la suite des élections de 1902 est en grande partie issu des couches moyennes. Ces élus ne disposant plus de l'indépendance que la fortune conférait aux notables traditionnels, le rôle des comités de base s'en trouve accru, alors que, dans le même temps, apparaissent les premières grandes formations partisanes organisées au plan national : l'Action libérale populaire, qui groupe les catholiques « ralliés », la Fédération républicaine, qui tente de rassembler les progressistes, l'Alliance démocratique, qui vise à réunir les républicains de gauche, tandis qu'à gauche, où le poids des militants est beaucoup plus considérable, sont fondés le Parti radical-socialiste (1901) et le parti socialiste SFIO (1905). À la Chambre, les députés ne peuvent plus, à partir de 1910, s'inscrire simultanément dans plusieurs groupes parlementaires, mais, sauf chez les socialistes, l'unité de vote est loin d'être réalisée à l'intérieur de chaque groupe. À partir de 1905, la « question constitutionnelle » et la « question religieuse » passent au second plan : la « question sociale » devient le problème majeur. Révélée dans les grands débats des années 1890, à l'époque de la poussée électorale des socialistes et de la formation de la CGT (1895), elle se manifeste alors avec intensité : l'unification du mouvement socialiste (1905), la vague de grèves des années 1904-1907, durement réprimée, attestent la vigueur du mouvement ouvrier, alors que des mouvements de type nouveau apparaissent, comme celui des fonctionnaires réclamant le droit de syndicalisation. La République reste néanmoins fidèle à la défense de l'ordre libéral, dans le droit fil de la Révolution de 1789. Les mesures législatives en matière sociale restent rares : en 1900, le socialiste Millerand, ministre dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, fait adopter une loi qui limite à onze heures la durée quotidienne du travail (mais cette mesure rend caduque la loi de 1892, qui restreignait à dix heures la journée de travail des enfants de 13 à 16 ans) ; en 1904, la durée légale pour tous passe de onze à dix heures ; en 1906, le repos dominical est rétabli.
Il se produit, toutefois, une triple évolution, doctrinale, juridique et institutionnelle. La doctrine « solidariste », développée notamment par le radical Léon Bourgeois, insiste sur la notion de solidarité entre les membres du corps social, sans supprimer celle de concurrence, chère aux libéraux ; elle influence notablement les législateurs républicains. Au plan juridique, l'ordre libéral et individualiste est mis en cause par la loi de 1898 sur les accidents du travail, qui fonde le principe de l'indemnisation du salarié sur la notion de risque professionnel inhérent au travail industriel, indépendamment des responsabilités individuelles. Mais cette notion nouvelle d'« assurances sociales » ne reçoit que tardivement une application concrète, avec la loi de 1910, instituant les retraites ouvrières et paysannes, qui garde une portée limitée. L'État républicain met en place des structures d'arbitrage (loi de 1892), et crée, tardivement, un ministère du Travail (1906). Ces réformes restent toutefois modestes, dans une société dominée par les producteurs et travailleurs indépendants, attachés au libéralisme. Ces réticences expliquent la longueur de la procédure législative concernant l'impôt sur le revenu : proposée en 1907 par Joseph Caillaux, cette loi n'est votée qu'en 1914.