Robespierre (Maximilien Marie Isidore de), (suite)
En 1789-1791, il est de ceux qui ne veulent pas voir la Révolution se prolonger contre les dirigeants précédents et les nantis ; membre du Club des jacobins, il est pacifiste, partisan de l'universalisation des principes révolutionnaires, opposé à l'esclavage, à la peine de mort et à la censure ; il souhaite des restrictions sur le commerce des grains, soucieux de faire bénéficier le plus grand nombre des avantages politiques, juridiques ou économiques qui peuvent être obtenus. Son influence est tangible en 1791, surtout après la fuite du roi, et lorsqu'il fait admettre le principe de la non-réélection des députés de la Constituante à l'Assemblée législative ; enfin, il est accueilli triomphalement à Arras. Après septembre 1791 - il est alors, depuis juin, accusateur public au tribunal de Paris -, il devient l'homme fort du Club des jacobins, même si c'est en vain qu'il dénonce les risques encourus du fait de la déclaration de guerre. Il est l'un des inspirateurs de la journée du 10 août 1792 qui porte un coup fatal à la monarchie, mais il ne prend pas part aux insurrections populaires et exprime des réserves sur les massacres de septembre, sans pour autant en condamner les auteurs.
Le guide de la Révolution.
• Robespierre atteint l'apogée de sa carrière à la Convention, où il est élu en tête de la délégation parisienne en septembre 1792, alors qu'il n'entre au Comité de salut public que le 27 juillet 1793. Il anime la lutte contre les girondins, auxquels il reproche leur politique belliciste et leur attachement au libéralisme, et joue un rôle essentiel lors du procès du roi, qu'il place sur le terrain des principes ; face à la guerre et aux revendications sociales, il stigmatise l'incurie ministérielle et dénonce les menées personnelles de généraux comme Dumouriez. L'action de la Commune de Paris, qui exclut les girondins de l'Assemblée en juin 1793, lui permet de concrétiser l'ascendant qu'il exerce par ses discours. Mais il se heurte alors aux prétentions des « enragés », dont il ne partage pas les « chimères » égalitaires, puis aux sans-culottes, dont les dirigeants sont ses rivaux et qu'il critique pour leur athéisme et pour la terreur populaire qu'ils ont instaurée dans le pays ; il se heurte enfin aux « indulgents », auxquels il reproche leurs compromissions et leur abandon des principes. Au cours de l'automne et de l'hiver 1793-1794, il élimine progressivement ces groupes, renforçant le pouvoir central, qui coiffe désormais les sociétés jacobines.
Cette volonté centralisatrice, le durcissement de la Terreur étatique par la loi du 22 prairial (10 juin 1794) et l'institution du culte de l'Être suprême, dont il est le promoteur, l'isolent alors de ses appuis populaires et le rendent vulnérable aux accusations de ses nouveaux rivaux politiques, qui siègent notamment au Comité de sûreté générale. Il passe pour vouloir rétablir la monarchie à son profit, pour vouloir créer une nouvelle religion... Une absence de quelques semaines à la Convention puis un retour marqué par un discours menaçant envers les « traîtres » de l'Assemblée entraînent sa mise en minorité, son jugement hâtif, et son exécution - avec son frère et ses proches -, malgré une mobilisation, limitée, de la Commune de Paris en sa faveur. Sa mémoire est aussitôt ternie par les thermidoriens, qui le rendent responsable de toutes les violences passées, y compris celles qu'il avait désavouées, comme celles commises par Carrier. Ils dressent le portrait d'un ambitieux, frustré et hypocrite, dogmatique et insensible. Le teint brouillé, les yeux chassieux et la perruque poudrée entrent ainsi dans la mémoire collective, repris ensuite par tous les contempteurs de la Révolution. Robespierre doit indiscutablement à Thermidor son image d'instigateur de la Révolution violente.
Un politique liant les principes et l'action.
• Il est possible de proposer une lecture qui insiste sur les ambitions d'un homme soucieux de lier principes et action, et dont l'unité psychologique viendrait du primat accordé aux principes moraux, à une religion civile fondée sur la morale et à une recherche obstinée de la vertu - qu'il juge supérieure au talent, à la différence des girondins. Cette recherche personnelle a pu lui faire prendre des décisions apparemment contradictoires.
Ainsi, sa conduite des affaires est fondée à la fois sur la volonté générale (dans le droit fil de la pensée de Rousseau) et sur le respect du rôle du représentant comme de la séparation des pouvoirs hérités de Montesquieu. Opposé au « fanatisme » clérical, mais partisan de la liberté individuelle des croyances, il est religieux et opposé à l'athéisme. Obnubilé par les traîtres et les factieux, qu'il traque au sein même des assemblées, il refuse la Terreur de l'hiver 1703-1794 dans ses modalités, mais en accepte le principe lorsqu'elle exprime la volonté générale - ce qui explique son refus de la peine de mort en 1791, et son acceptation de la répression nécessaire en 1794. Il est hostile aux ministres lorsqu'ils dépendent du roi, mais les accepte quand ils sont nommés par la Convention, le pouvoir individuel étant alors théoriquement limité. C'est encore au nom du droit des gens qu'il soutient le rattachement d'Avignon à la France, et qu'il s'oppose à la guerre de conquête.
Plus problématique est la conjonction qu'il tente d'opérer entre quête du civisme et universalisme : elle lui fait rejeter hors de la nation les opposants au progrès, condamner les Anglais et les insurgés vendéens, se méprendre sur Paoli... Sa volonté de recourir à une grille politique d'une grande rigueur produit ainsi des effets pervers. Elle induit aussi une approche faussée de l'esclavage et de la situation réelle à Saint-Domingue, si bien que le peuple, référent permanent, est plus un mythe que l'objet d'une analyse rationnelle. D'où des déceptions et des recherches d'adéquation impossibles.
Ainsi, la vision de Robespierre est essentiellement morale et individuelle, ce qui n'a pas manqué de lui donner la force de juger et de critiquer des projets moins audacieux et moins cohérents, mais a contribué en même temps à l'isoler dans une série d'exigences dont les conséquences apparaissent contradictoires. En économie, la dimension morale restant toujours prédominante, il entend créer un libéralisme égalitaire, pour assurer le droit à l'existence et limiter le luxe sans toucher à la propriété ; il s'inscrit ainsi dans la tradition des législations somptuaires, bien en deçà des demandes plus radicales.