centralisation, (suite)
État-nation et centralisation.
• Tandis que la philosophie des Lumières pose avec force la question de la légitimité du pouvoir en liaison avec la reconnaissance de la nation, la centralisation est remise en cause par les critiques contre la toute-puissance ministérielle, et par les inquiétudes face à ce que Turgot nomme la « nation inorganique » (absence de liens entre les sujets ; entre ceux-ci et le gouvernement royal). Ce mouvement conduit à une série de projets de réforme territoriale, plus ou moins largement appliqués, de 1764 à 1787. Malgré des variantes, ces projets reposent tous sur la formation d'une hiérarchie d'assemblées en partie élues, et censées conjuguer une plus grande efficacité fiscale et administrative. Bien qu'elle ménage les ordres, cette volonté modernisatrice avive, entre les partenaires du pouvoir, des rivalités qui empêchent une généralisation des réformes.
Ces tentatives contrastent avec le résultat efficace auquel parviendront les constituants en dix mois, de septembre 1789 à juillet 1790. Après quelques semaines de débats, les lois des 14 et 22 décembre 1789 établissent une nouvelle pyramide administrative de communes, districts et départements ; chaque circonscription est régie par une assemblée élue au suffrage censitaire. Entre janvier et juillet 1790, le découpage territorial et l'élection des diverses administrations sont menés à bien. Objet d'appréciations contradictoires, cette réforme est tantôt donnée comme exemple d'œuvre décentralisatrice, tantôt considérée comme la confirmation de la centralisation au nom de l'unité nationale. De fait, le système est plutôt mixte. La large autonomie des municipalités, l'élection par les citoyens du procureur de la commune - représentant du pouvoir exécutif -, les compétences étendues des districts et des départements, vont dans le sens d'une forte déconcentration (dispersion des organes administratifs sur tout le territoire) et d'une certaine décentralisation (autonomie de décision des collectivités locales). En revanche, la disparition des cours souveraines, l'exercice du pouvoir législatif par la seule Assemblée nationale, la prérogative conférée au roi de contrôler les administrateurs locaux, maintiennent une forme de centralisation.
L'éclatement de cette pyramide tient pour une large part aux affrontements politiques qui s'exacerbent entre 1791 et 1793. Le débat constitutionnel, rouvert au printemps 1793 à la Convention, donne évidemment lieu à une nouvelle discussion sur la centralisation. Les points de vue ne sont pas alors aussi nettement tranchés que le suggère l'assimilation, communément pratiquée mais simplificatrice, entre centralisation et jacobinisme. Les girondins, tel Condorcet, se montrent plutôt favorables à un renforcement de la centralisation, grâce à la nomination des procureurs par le gouvernement ; des montagnards, en particulier Robespierre, dénoncent cette proposition contraire à l'autonomie des communes. Mais, après la victoire montagnarde du 2 juin 1793, l'instauration du gouvernement révolutionnaire, en septembre-octobre, accélère l'inflexion centralisatrice. Celle-ci est consacrée par la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), qui réaffirme : « La Convention est le centre unique de l'impulsion révolutionnaire » ; elle renforce le rôle et le contrôle des représentants en mission, et, surtout, elle confère à des agents nationaux nommés un grand pouvoir sur les administrations locales. Toutefois, cette centralisation est conçue comme provisoire, le temps de garantir l'établissement de la République et l'application de la Constitution de l'an I. En fait, la Convention thermidorienne, en fructidor an III (août 1795), et le Directoire donnent une dimension constitutionnelle à la mise sous tutelle des collectivités territoriales en flanquant les administrateurs locaux élus de commissaires nommés par les directeurs. Le contrôle « d'en haut » ainsi pérennisé est systématisé, après brumaire an VIII (novembre 1799).
Du Consulat à la V• e République : continuité et variations.
La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), sans être radicalement neuve, est considérée, à juste titre, comme le socle de l'État centralisé dans la France des XIXe et XXe siècles. La centralisation tient moins au remplacement des administrateurs municipaux élus par des maires nommés qu'aux fonctions stratégiques attribuées aux préfets et sous-préfets. Recruté en dehors des corps législatifs, nommé et révoqué par le Premier consul, le préfet est chargé « par le gouvernement d'administrer sous ses ordres le département ». Inspecteur devant établir des rapports pour le gouvernement, il est, plus encore que ne l'était l'intendant, tenu d'exécuter des ordres centraux. L'initiative personnelle du fonctionnaire est bannie.
Dans sa définition générale, la fonction préfectorale n'a pas été modifiée avant les années quatre-vingt. Néanmoins, elle s'est progressivement accompagnée d'une multiplication des services connexes de diverses administrations centrales ou départementales : services fiscaux, ministère des Travaux publics, directions départementales de l'Équipement, etc. Ce renforcement de l'appareil d'État a entraîné un accroissement du nombre des fonctionnaires. La réputation d'hypertrophie de l'administration française s'est répandue, en même temps qu'a persisté l'attachement à un État garant de l'unité nationale.
Cependant, la continuité centralisatrice du Consulat à la Ve République n'est pas absolue. Sous la monarchie de Juillet (lois de 1831 et 1833) et, surtout, sous la IIIe République (lois de 1871 et 1884), le retour progressif à l'élection des conseils municipaux et départementaux (ou conseils généraux) ainsi que l'élargissement de leurs fonctions favorisent leur affirmation en tant que collectivités territoriales, dont les agents de l'État, en particulier les préfets, doivent tenir compte. Les notables locaux n'ont pas cessé d'assurer les liaisons entre les différents niveaux de la société et de l'État, grâce à leurs relations, à leur influence sociale ou culturelle. Dans cette perspective, la « capacité de démiurge » de la centralisation doit être fortement relativisée. A contrario, depuis la Seconde Guerre mondiale, la centralisation a revêtu une nouvelle dimension économique et démographique. La concentration de la population, des activités et des fonctions de commandement à Paris a fini par heurter. En 1947, le livre de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, lance un cri d'alarme, dont les échos vont inspirer les politiques dites « d'aménagement du territoire » et la création de nouvelles institutions : 21 Régions-programmes en 1955, Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) en 1963, etc.