Enfer, (suite)
La question de la nature des peines subies par l'âme avant la Résurrection des corps se pose également à partir du moment où l'on estime que le châtiment s'exerce dès le lendemain de la mort, sans attendre le Jugement dernier. La tradition, dans sa majorité, considère que les peines subies par l'âme sont spirituelles mais provoquées par des éléments matériels, tel le feu. Aux XIIe et XIIIe siècles, les théologiens décrivent succinctement les souffrances endurées par les âmes damnées : corporellement, le feu, le froid, la puanteur, les vers, les ténèbres, les pleurs, les cris et la vision des démons ; psychologiquement, le dam (privation absolue de la vue de Dieu et de la grâce rédemptrice), la culpabilité sans repentir et le spectacle de la gloire des élus qui se réjouissent de leurs tourments. Les voyages dans l'Au-delà et les exempla des prédicateurs affinent la description et peuplent l'Enfer d'instruments de torture servant à supplicier les damnés. Ces textes conduisent à une conception judiciaire de l'Enfer, à la fin du Moyen Âge. L'Enfer n'est plus alors le lieu d'où l'ordre est absent mais le Royaume d'en-bas, inversé, où Satan-roi rend sa justice. Cette mutation correspond à celle du pouvoir terrestre, engagé dans la construction de l'État moderne. Des peines spécifiques sont appliquées aux damnés, en fonction de leurs péchés : avares, gavés d'or fondu ; gloutons, soumis au supplice de Tantale ; sodomites, empalés... Les images infernales, qui se multiplient aux XIVe et XVe siècles, expriment cet ordre par un net compartimentage, identifiant clairement les péchés punis (le Jugement dernier d'Albi, 1493-1503). Modérant l'idée d'un « christianisme de la peur », l'historien Jérôme Baschet voit dans ces images un « miroir qui renvoie au sujet l'image d'un moi coupable » (les Justices de l'Au-delà. Les représentations de l'Enfer en France et en Italie, du XIIE au XVE siècle, Paris-Rome, 1993) : l'Enfer ne sert pas tant à faire peur qu'à promouvoir une pastorale de la confession. Les siècles suivants marquent un recul de la thématique de l'Enfer, d'abord dans les images, puis dans les textes et, enfin, dans les esprits ... jusqu'à sa quasi-disparition, aujourd'hui.