Front populaire (suite)
Toutefois, les historiens hésitent quant à la date de « décès » du Front populaire, tant la situation reste ambiguë jusqu'en novembre 1938. Le cabinet formé en avril par Édouard Daladier ne comprend plus de socialistes, et comporte, pour la première fois depuis 1936, des modérés ; cependant, il ne s'engage pas immédiatement sur la question des quarante heures. Celles-ci ne seront remises en cause qu'en novembre 1938 par le ministre des Finances nouvellement nommé, Paul Reynaud, un homme du centre droit. À partir de cette date, Daladier s'appuie sur une nouvelle majorité formée par les radicaux, le centre et la droite. Dans le même temps, les problèmes extérieurs achèvent de séparer les socialistes et les communistes. Les accords de Munich, signés en septembre 1938 par Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler, entérinent l'annexion d'une partie de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne. Beaucoup de socialistes, par pacifisme, accueillent favorablement ces accords, tandis que les communistes y sont catégoriquement hostiles. Le retrait des radicaux du Comité du rassemblement, le 12 novembre 1938, et l'échec du mot d'ordre de grève lancé par la CGT pour le 30 novembre scellent définitivement le sort de la coalition créée au soir du 14 juillet 1935.
Considéré du point de vue de son enracinement historique, le Front populaire a illustré l'absence de contradiction entre la tradition républicaine et le mouvement ouvrier. L'épisode n'en est pas moins révélateur des temps nouveaux : l'affaiblissement du Parti radical au profit des partis ouvriers (PCF, SFIO), la transformation du Parti communiste en parti de masse, l'influence des luttes sociales sur le jeu politique, mettent en cause les équilibres politiques réalisés sous la République parlementaire, alors que, dans la société, le poids des salariés s'accroît, au détriment des classes moyennes, pilier du régime. À partir du Front populaire, l'État républicain étend son champ d'intervention à de nombreux aspects de la vie collective - politique conjoncturelle, réglementation du travail et arbitrage social, politique culturelle, etc. Il élabore ainsi un nouveau compromis, appelé à durer sur une très longue période, bien au-delà de la Seconde Guerre mondiale. En cela réside sans doute le véritable héritage du Front populaire.