Résistance. (suite)
La Résistance des premiers temps se singularise, enfin, par l'ambiguïté de son orientation politique. À qui et à quoi résiste-t-on ? Le groupe de Frenay ou les démocrates-chrétiens du réseau Liberté se caractérisent par un farouche antigermanisme - qui les conduit à refuser l'armistice et à condamner la Collaboration -, mais aussi par un fort anticommunisme et une évidente bienveillance à l'égard de la « révolution nationale » du régime de Vichy. À l'inverse, les communistes sont enfermés, depuis leur acceptation du pacte germano-soviétique (août 1939), dans la logique de la dénonciation de la guerre « impérialiste ». Cette ligne politique les conduit à refuser de participer à l'effort de guerre français, puis à condamner Vichy sans ambiguïté. Mais elle les pousse aussi, à l'été 1940, à se montrer conciliants à l'égard des Allemands, alors alliés du « grand frère » soviétique. Encore en juin 1941, les militants du PCF clandestin qui encadrent la grande grève des mineurs du Nord prennent soin de placer cette grève dans le cadre de strictes revendications sociales et de lui ôter toute signification patriotique. Toutefois, certains militants « antifascistes viscéraux », comme les intellectuels Georges Politzer ou Gabriel Péri qui animent la revue l'Université libre, acceptent de moins en moins cette ligne imposée par le Komintern, mais ils ne peuvent en imposer le renversement. Il faut attendre le déclenchement de l'invasion de l'URSS par l'Allemagne (22 juin 1941) pour voir le PCF basculer subitement dans une opposition absolue à Vichy et aux Allemands. Ainsi, le Front national, qu'il crée en mai 1941, est d'abord conçu comme un outil politique contre Vichy et ne se pose en coordinateur de la lutte anti-allemande qu'après que Staline a ordonné aux partis communistes d'Europe de constituer des fronts sur les arrières de la Wehrmacht. De leur côté, les résistants « nationaux » (qualificatif désignant des personnalités le plus souvent venues des rangs de la droite) se détachent peu à peu de l'étreinte vichyssoise. Ils y sont poussés par l'engagement de compagnons de lutte qui n'ont jamais été attirés par Vichy (ainsi les militants de Libération-Sud) et par la politique même de ce régime : le gouvernement du maréchal Pétain s'enferre, en effet, dans la Collaboration, la répression de la Résistance et un antisémitisme d'État qui révulse les chrétiens résistants (tel le Père Chaillet, fondateur, en 1941, des Cahiers du Témoignage chrétien). La fin de 1941 et le début de 1942 marquent une étape décisive dans l'histoire de la Résistance : tous les résistants sont désormais en accord sur le principe d'une opposition commune à Vichy et à l'occupant. L'unification de la Résistance devient possible.
La difficile unification
À partir de 1942, la Résistance commence à s'unir et à coordonner ses efforts, même si la divergence des points de vue des différents acteurs rend ce processus long et difficile. Le général de Gaulle est le premier à réclamer une unification de la Résistance intérieure, qui consoliderait la légitimité de la France libre et renforcerait aux yeux des Alliés ses prétentions politiques. En outre, à partir de novembre 1942 (débarquement allié en Afrique du Nord) et du surgissement d'une autre résistance extérieure, sous obédience américaine (le darlanisme puis le giraudisme, apparus, respectivement, autour de l'amiral Darlan et du général Giraud), le contrôle de la Résistance intérieure devient pour les Français libres un enjeu tactique de toute première importance. Aussi, aux yeux de De Gaulle, l'unification est-elle conçue comme un ralliement et une sujétion de la Résistance intérieure à la France libre, supposée seule incarner la volonté nationale. Tel n'est pas l'avis des chefs clandestins de la Résistance intérieure. Ces derniers, même divisés par des querelles intestines (l'incompatibilité d'humeur entre Frenay et d'Astier de La Vigerie est notoire), admettent et revendiquent le principe de l'unification. La faiblesse de la Résistance et son dramatique manque d'armes, d'hommes et d'argent imposent d'ailleurs une coordination des efforts. Toutefois, si les résistants admettent la nécessité d'une fédération et s'ils reconnaissent que le fédérateur ne peut venir que de l'extérieur, la coordination, dans leur esprit, doit se limiter aux questions militaires et ne déboucher en aucun cas sur une soumission politique. N'ayant pas le sentiment que leur engagement procède de l'appel du général de Gaulle, ils rechignent à en devenir les bons et obéissants soldats. À cette première opposition s'ajoute un vif conflit relatif aux partis politiques. De Gaulle, qui enregistre en 1942 le ralliement de diverses personnalités politiques (de Léon Blum à Pierre Mendès France, de Louis Marin à Henri Queuille), souhaite de toutes ses forces la pleine association des partis à l'univers résistant afin de mieux étayer sa propre légitimité. Ce souci est d'autant plus affirmé que le procès de Riom (interrompu par Vichy en avril 1942 tant les accusés s'emploient, magistralement, à retourner l'accusation) vient d'offrir aux partis politiques une chance inespérée de retour en grâce et de démontrer qu'en France la démocratie est inséparable de l'idée républicaine. Les responsables de la Résistance intérieure, pour leur part, rejettent avec force la participation des partis politiques, que, dans leur très grande majorité, ils rendent responsables de la défaite. Pourtant, leur intransigeance finit par s'amender. Non seulement parce que la détermination de De Gaulle est, sur ce point, absolue, mais aussi, et surtout, parce que les militants des partis, et au premier rang d'entre eux les communistes, prennent chaque jour une part plus active au combat commun.
Pour accoucher cette délicate unification, de Gaulle choisit Jean Moulin, un jeune préfet radical de 43 ans, révoqué par Vichy, et qui est parvenu à gagner Londres à l'automne 1941. Avec le titre de « représentant personnel du général de Gaulle en France », Moulin, dont la mission ne porte que sur la zone sud, est parachuté dans les Alpilles dans la nuit du 1er janvier 1942. Après plusieurs semaines nécessaires aux prises de contact, il commence par unifier les services techniques des principaux mouvements de zone sud. Ainsi, en avril 1942, il crée le Bureau d'information et de presse (BIP), sorte d'agence de presse de la Résistance, chargé de distribuer aux périodiques clandestins les informations venues de Londres. Pour diriger le BIP, Moulin choisit Bidault, l'ancien directeur de l'Aube, le principal journal démocrate-chrétien d'avant-guerre. Au même moment, Moulin crée la Section des atterrissages et parachutages (SAP), qui coordonne, en zone sud, ces importantes missions. En juillet 1942, c'est le tour du « Comité des experts » - qui deviendra le Comité général d'études (CGE) en février 1943 -, chargé de rassembler les projets et les études de la Résistance et d'en transmettre à Londres des synthèses ; Pierre-Henri Teitgen et Alexandre Parodi animent et recrutent une petite équipe formée essentiellement de juristes et d'universitaires. Le CGE gagne peu à peu en autorité, au point d'être considéré, même s'il est abondamment critiqué par nombre de résistants en raison de son « gaullisme » trop affirmé, comme un véritable « Conseil d'État de la clandestinité ».