Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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noblesse (suite)

Le retour à la paix civile consacre le rôle éminent des officiers comme supports du pouvoir royal et la réévaluation de leur statut social : l'édit de mars 1600, sanctionnant l'anoblissement graduel et coutumier des magistrats de cours souveraines, et l'institution de la paulette, en 1604, participent de la reconnaissance d'une noblesse de robe, qui, tirant gloire du service civil de la monarchie, aspire à une prééminence sur les trois ordres de la société. Consciente de la dissociation entre noblesse et vertu, comme de sa défaite dans « la bataille de la compétence » (Arlette Jouanna), la gentilhommerie se replie sur la valeur du sang pour justifier ses prétentions sociales et politiques : les états généraux de 1614 lui donnent l'occasion de défendre un programme de réaction nobiliaire, mêlant volonté de fermeture de l'ordre et revendication du monopole des dignités et des emplois publics, et qui rejaillit dans les cahiers de doléances de 1651 ; le reste du temps, elle trompe son mal de vivre en explorant toutes les voies du désordre social : duel, dont la recrudescence a valeur de défi à l'autorité royale autant que de repli identitaire sur le point d'honneur, mais aussi banditisme, contrebande du sel et agitation antifiscale, aux côtés des « croquants » du Périgord et des « nu-pieds » de Normandie. Tout aussi chronique apparaît le « malcontentement » des grands, qui, sous couvert du « bien public », se disputent le contrôle du pouvoir royal et des faveurs qui en procèdent. L'État moderne n'en continue pas moins à se développer, jusqu'à ce que les cours souveraines s'insurgent contre la montée en puissance des intendants et des financiers ; les blessures d'amour-propre des grands et l'aspiration des gentilshommes à une monarchie tempérée par les assemblées d'états ne tardent pas à brocher sur cette réaction officière, mais la rivalité des clans princiers et l'incompatibilité des projets politiques de l'épée et de la robe - sans préjudice de l'implication de la haute société parisienne dans le « système fisco-financier » (Daniel Dessert) - portent en germe l'échec des frondes à imposer la moindre alternative à l'absolutisme.

De Louis XIV à la Révolution

Dès 1661, Louis XIV met en œuvre une politique nobiliaire, fondée sur trois principes majeurs : le renforcement du contrôle étatique sur le recrutement nobiliaire, qui érige le roi en ordonnateur exclusif de la mobilité sociale, soumet l'ensemble de l'ordre aux contraintes des recherches de noblesse et entraîne une régression des effectifs ; l'égalité de l'épée, de la robe et de la finance en regard du service du roi, qui, « seul, justifie » (Jean Meyer) ; la curialisation des grands seigneurs du royaume à Versailles, où, déracinés de leurs clientèles locales et contraints de soutenir l'éclat de leur nom au-delà de leurs capacités pécuniaires, ils dépendent entièrement des grâces du monarque et épuisent leur énergie en intrigues sans danger pour la paix civile, enfin garantie. Les récalcitrants à l'ordre louis-quatorzien n'ont d'autre alternative que de partir à l'aventure, à l'exemple du comte de Bonneval, ou de préparer, à l'instar de Fénelon ou de Saint-Simon, une restauration nobiliaire, rendue caduque par la mort du duc de Bourgogne.

Or, la noblesse de ce temps n'est pas seulement traversée par l'antagonisme de l'ancienneté, la rivalité des fonctions et les querelles de préséance suscitées par les ducs et pairs ; son atomisation sur l'échelle de l'estime sociale se reflète dans le tarif de la première capitation, qui marque les écarts entre la haute noblesse des princes du sang, des ducs et des chevaliers du Saint-Esprit, les strates intermédiaires des nobles titrés, des seigneurs de paroisse et de ceux moindrement fieffés, et la plèbe des gentilshommes sans fief ni château. Ces disparités de rang, d'influence, de considération et de fortune s'aggravent sous l'effet de l'évolution économique et culturelle des Lumières : faute d'éducation autant que d'argent, la masse nobiliaire des provinces non seulement se voit exclue de la diplomatie, de l'administration, de la magistrature et des hautes charges de l'armée, mais subit la concurrence de la roture au sein même des régiments, ce qui, dans un siècle où le mérite le dispute à la naissance, la voue à être dénoncée comme inutile à l'État ; il s'ensuit une crispation identitaire, dont les clameurs indignées des zélateurs de la noblesse militaire en réaction aux abolitionnistes de la dérogeance renvoient l'écho. Pourtant, le second ordre ne reste pas absent de la compétition de la richesse et du talent : au-delà du millier de familles qui forment une véritable « noblesse d'affaires » (Guy Richard) et jouent un rôle décisif dans l'essor industriel et commercial du royaume, nombre de gentilshommes relèvent le défi physiocratique ; loin de déserter académies, sociétés littéraires et loges maçonniques, toute une noblesse « éclairée » participe au décloisonnement des savoirs et à l'agitation des idées, sans craindre d'adhérer au discours méritocratique, que le marquis d'Argenson est un des tout premiers à faire sien.

Cette hétérogénéité croissante de la société nobiliaire s'assortit d'une divergence d'attitudes face au pouvoir. Nulle rébellion n'est à craindre de la part de la gentilhommerie provinciale, qui attend du roi une réaction nobiliaire lui assurant instruction et plein emploi militaires, non plus que des fermiers généraux, d'autant moins fondés à émettre la moindre critique envers la forme du pouvoir qu'ils en tirent leur « raison d'être » et leurs « sources de profit » (Y. Durand). Mais les ducs et pairs, dont les ambitions politiques ont pourtant été disqualifiées par l'échec de la polysynodie, et certains princes du sang prêtent la main aux parlementaires pour attiser la flamme de la résistance à l'absolutisme ; se posant en « pères de la patrie », ces derniers se raidissent dans une opposition religieuse et fiscale qui s'exacerbe entre 1750 et 1770, avant de se muer, sous le règne de Louis XVI, en une obstruction systématique à toutes les tentatives de réforme qui eussent pu éviter la Révolution.