Régence (suite)
Louis XV, le Régent et la cour quittent Versailles pour Paris, qui retrouve sa fonction de capitale. Alors que l'enfant-roi s'installe pour quelques mois au château de Vincennes, le Palais-Royal devient le centre de la vie politique. À 41 ans, sans avoir jamais exercé d'autre responsabilité que celle de commandements militaires, Philippe d'Orléans passe avant tout pour un libertin sans scrupule. Il séduit et inquiète ceux qui l'approchent, à commencer par Saint-Simon, l'un de ses fidèles. Les gazetiers insistent sur son inconstance, sur son indulgence pour ses « roués » - et sur ses amours, qui prêtent au scandale. On ignore souvent que ce sceptique blasé est aussi un artiste, un mécène, un homme pétri de la culture de son temps, et qu'il est loin d'être indifférent aux problèmes de l'État. Dès qu'il accède au pouvoir, il se révèle être un travailleur sérieux, au fait de toutes les affaires importantes du royaume. Pourtant, l'héritage est lourd : à l'intérieur, se réveillent l'opposition de la noblesse et celle du parlement, trop longtemps matées par Louis XIV ; la situation financière est préoccupante et les problèmes religieux restent en suspens ; en Europe, il faut beaucoup de prudence pour atténuer les sentiments de haine et de jalousie suscités par la politique belliqueuse des décennies précédentes.
La polysynodie
Dès son accession au pouvoir, pour complaire aux princes du sang et aux gentilshommes de vieille souche dépités d'avoir été mis à l'écart du pouvoir au profit de ministres anoblis de fraîche date, Philippe d'Orléans institue un nouveau mode de gouvernement, la polysynodie. S'inspirant des idées développées dans l'entourage du feu duc de Bourgogne (les ducs de Chevreuse, de Beauvillier et de Saint-Simon, Fénelon...), il remplace les secrétaires d'État par des Conseils, qui comprennent sept membres, tous d'ancienne noblesse. Le président de chaque Conseil soumet les avis de son groupe au Régent, auquel revient la décision. Les ministres sont réduits au rôle de simples agents d'exécution. Ce nouveau mode de gouvernement qui semble mettre fin au « despotisme ministériel » n'affecte pas, en réalité, la nature du pouvoir royal. Les Conseils, à l'exception de celui des finances présidé par le duc de Noailles, se révèlent parfaitement incompétents. Le duc d'Orléans abandonne cette pratique en septembre 1718. Il gouverne, dès lors, secondé par le cardinal Dubois, un homme d'origine modeste (il est fils d'apothicaire), promu Premier ministre et assisté par le Conseil de régence (qui fait également office de Conseil de tutelle) ; les secrétaires d'État retrouvent leurs anciennes fonctions. À la Régence aristocratique succède la Régence autoritaire : l'absolutisme demeure intact, malgré le réveil de l'opposition parlementaire.
L'expérience de Law
La situation financière du royaume est alors désastreuse. Le Conseil des finances a déclaré une banqueroute partielle et entrepris une « chasse aux traitants », dans l'espoir de faire rendre gorge à quelques-uns d'entre eux. Mais la Chambre de justice, créée à cette fin, a dû abandonner ses poursuites après quelques condamnations retentissantes : l'État a trop besoin des financiers pour poursuivre une épuration qui lui aurait été préjudiciable. Le Régent pense trouver la solution au marasme en adoptant le système préconisé par l'Écossais John Law. Ce dernier estime pouvoir diminuer la dette de l'État grâce à une politique d'inflation, tout en relançant l'économie par la circulation de billets émis par une banque, gagés sur une compagnie de commerce nationale et garantis par l'État. En 1716, Law crée une banque privée, et l'année suivante, la Compagnie du commerce de l'Occident, qui deviendra la Compagnie des Indes en 1718 et dont les actions ne tardent pas à rencontrer un succès considérable. En 1718, sa banque devient banque d'État, et la Compagnie se voit attribuer le monopole de l'exploitation de la Louisiane, ainsi que la Ferme des impôts indirects et directs ; elle est même autorisée à prêter de l'argent au roi pour rembourser la dette. En 1720, Law est nommé contrôleur général des Finances. Cependant, l'énorme disproportion entre l'encaisse métallique et la masse de papier émis rend le système très fragile. Les Français se livrent à une spéculation effrénée. Dès 1719, la confiance commence à faire défaut. L'année suivante, plusieurs gros spéculateurs (le prince de Conti, le duc de Bourbon) ayant demandé le remboursement de leurs actions, s'ensuit une panique financière. Law impose alors le cours forcé des billets, mais, le 10 octobre 1720, le gouvernement met fin à l'expérience. Quelque vilipendé qu'il soit, et malgré un certain nombre de débâcles financières, le « système » a néanmoins permis à l'État de payer une partie de ses dettes et d'augmenter ses recettes ; le commerce atlantique s'est développé et le monde rural a été l'un des principaux bénéficiaires de la multiplication des moyens d'échange.
Le problème janséniste
Pendant que le Régent tente d'éviter la banqueroute, il se heurte à l'opposition janséniste. Malgré les persécutions dont il a fait l'objet sous le règne de Louis XIV, ce mouvement a survécu, grâce au soutien des docteurs de la Sorbonne, des évêques, de très nombreux curés, des jurisconsultes (d'Aguesseau) ainsi que de bon nombre de parlementaires. Par leur appel à la conscience individuelle, et à l'esprit de libre arbitre, les jansénistes ont contribué à la naissance d'une conscience collective du corps civique ; leurs réunions sont les lieux d'apprentissage d'une nouvelle forme de démocratie. Le pape avait déjà condamné à trois reprises cette doctrine, la dernière condamnation datant de 1713 (bulle Unigenitus). Quoique sommé d'enregistrer cette bulle, le parlement l'avait déclarée irrecevable. On en était resté là. Or, le 5 mars 1717, quatre évêques, suivis par trois mille ecclésiastiques, relancent le débat en demandant officiellement la réunion d'un concile pour condamner la bulle papale. Ils affirment ainsi la supériorité du concile sur le pape. De ce fait, ils critiquent le pouvoir royal, lui reprochant d'être placé sous la tutelle du souverain pontife et d'avoir violé les « saintes libertés gallicanes ». L'affaire fait grand bruit, et l'on polémique jusque dans les églises. Le désordre et la confusion s'installant, le duc d'Orléans doit renoncer à la politique de conciliation qu'il souhaitait appliquer. Il exige du parlement (déclaration du 4 août 1720) qu'il soit désormais interdit d'écrire contre la bulle Unigenitus et de faire appel à un concile. Deux ans plus tard, les jansénistes n'ayant pas désarmé, le pouvoir sévit : trois mille « agitateurs » reçoivent une lettre de cachet. D'autre part, la déclaration du 11 juillet 1722 enjoint à tous les ecclésiastiques voulant obtenir un bénéfice de signer le Formulaire (acte de 1664 par lequel le pape Alexandre VII confirmait la condamnation portée en 1653 contre Jansenius par Innocent X). L'affaire est loin d'être réglée. Elle rebondira en 1727.