Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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rois fainéants, (suite)

Dans son Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain (publiée en 1776-1781 et traduite de l'anglais par Guizot en 1812), Edward Gibbon écrit : « Le malheur ou la faiblesse des derniers rois de la race mérovingienne avait attaché à leurs noms le titre de fainéants [...]. Toutes les années aux mois de mars et de mai, un chariot attelé de six bœufs les menait à l'assemblée des Francs... » Ferdinand Lot, quant à lui, dans la Fin du monde antique et le début du Moyen Âge (1927), affirme : « Louis XV parlait comme eût parlé un roi mérovingien, si celui-ci eût été capable de réfléchir sur la nature du pouvoir qu'il exerçait. » Le mépris à l'égard des derniers successeurs de Mérovée a longtemps été véhiculé par les manuels scolaires républicains. Même Dagobert, le « roi qui met sa culotte à l'envers », n'échappe pas à la dérision dans la chanson enfantine qui le présente comme un monarque stupide, impuissant et lâche, heureusement flanqué d'un sage conseiller en la personne de saint Éloi.

Cette image des « rois fainéants » émane directement de la propagande antimérovingienne orchestrée par les Carolingiens pour jeter le discrédit sur la dynastie précédente. Évoquant les derniers rois mérovingiens, Éginhard, le biographe de Charlemagne, écrit ainsi vers 826 : « S'il fallait aller quelque part, c'était sur un char traîné par un attelage de bœufs qu'un bouvier menait à la manière des paysans. » L'impotence des derniers successeurs de Clovis n'est pourtant pas due à leur « fainéantise », ni à la dégénérescence de leur race (comme le pensaient les historiens du XIXe siècle), mais à des circonstances historiques précises : la montée en puissance des maires du palais (famille des Pippinides) qui accaparent le pouvoir, les multiples partages du royaume franc, les guerres fratricides et les nombreuses régences causées par la minorité des rois.

Roland (Jeanne-Marie ou Manon Phlipon, épouse Roland de La Platière, dite Mme),

femme politique (Paris 1754 - id. 1793).

Fille unique d'un maître graveur aisé, la jeune Manon reçoit une éducation soignée ; elle fréquente de nombreux artistes et lit beaucoup, de Plutarque à Rousseau (dont l'œuvre influencera son évolution religieuse vers le déisme). En 1780, elle épouse Jean Marie Roland de La Platière et participe à ses travaux. Ayant la plume facile, elle rédige une partie de l'œuvre de son mari - des traités techniques et économiques –, et correspond avec les milieux opposés à l'absolutisme. Profondément révoltée par les inégalités sociales de l'Ancien Régime, dont elle a souffert comme fille d'artisan, et marquée par ses lectures, elle est d'emblée favorable à la Révolution. De Lyon, elle envoie des articles, non signés, au Patriote français de Brissot et poursuit sa correspondance avec ses amis révolutionnaires, leur conseillant de s'appuyer sur les sociétés populaires.

Lorsque le couple s'installe à Paris en 1791, elle ouvre un salon politique, où se réunissent plusieurs fois par semaine les patriotes les plus radicaux du temps. Elle exerce sur eux une forte influence et contribue à l'élaboration de la politique girondine sous la Législative. Lorsque Roland devient ministre en mars 1792, elle continue à travailler avec lui, rédigeant plusieurs de ses textes, notamment la célèbre lettre envoyée à Louis XVI le 10 juin 1792, qui enjoint à ce dernier de renoncer à son veto, et qui est à l'origine du renvoi du ministère girondin. Véritable femme politique au rôle important, elle ne publie pourtant guère que sous le nom de son mari ou anonymement. « Je ne crois pas que nos mœurs permettent encore aux femmes de se montrer ; elles doivent inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie, mais non paraître concourir à l'œuvre politique », écrit-elle en 1791. Ses adversaires politiques ne s'y trompent pas, et notamment Danton, qui déclare : « Nous avons besoin de ministres qui voient par d'autres yeux que par ceux de leur femme. »

Arrêtée avec les girondins en juin 1793, elle rédige en prison ses Mémoires, qui, mêlant souvenirs personnels et politiques, constituent un témoignage de grand intérêt. Condamnée à mort, guillotinée le 8 novembre 1793, elle aurait prononcé ces mots sur l'échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Peu après, un article adressé « aux républicaines », associant dans sa critique Olympe de Gouges à Mme Roland, conclut que « le désir d'être savante la conduisit à l'oubli des vertus de son sexe ». Pour les historiens du XIXe siècle, elle ne fut que l'égérie des girondins.

Roland de La Platière (Jean Marie),

homme politique (Thizy, Beaujolais, 1734 - Bourg-Beaudoin, Eure, 1793).

Entré en 1754 dans l'administration royale du commerce, il devient inspecteur des manufactures de Picardie, à Amiens, en 1766. En 1780, il épouse Manon Phlipon. Leur couple reflète un certain idéal des Lumières : fondé sur l'« amitié », la confiance, l'estime et non sur les stratégies familiales, il est aussi le lieu d'une collaboration et d'un partage intellectuels. Mme Roland aide son mari dans son travail, dans la rédaction de ses livres d'économie. Roland publie en effet de nombreux ouvrages : rapports d'inspection des manufactures, discours académiques, traités techniques sur la fabrication des étoffes de laine et de coton ou sur la préparation de la tourbe. En collaboration avec sa femme, il écrit les articles consacrés aux arts et manufactures dans l'Encyclopédie méthodique de Panckouke. Roland s'y révèle adepte du libéralisme économique ; plus influencé par sa pratique d'inspecteur des manufactures et par les travaux d'Adam Smith que par ceux des physiocrates, il considère l'industrie et le commerce comme les premières richesses d'un pays, et souhaite les libérer des réglementations qui entravent leur essor.

Il est nommé inspecteur des manufactures à Lyon (1784), et accueille avec enthousiasme la Révolution. En 1790, il est élu à la municipalité lyonnaise, qui l'envoie défendre ses intérêts auprès de l'Assemblée nationale. En 1791, les époux Roland s'installent à Paris, s'engageant activement dans le parti patriote. Roland adhère au Club des jacobins et fréquente le Cercle social ; après la fuite du roi, il se rapproche des milieux républicains. Lié à Brissot, il est, comme lui, favorable à la guerre contre l'Autriche et, en mars 1792, entre dans le ministère girondin, où il détient le portefeuille de l'Intérieur. Toujours avec la collaboration de sa femme, il y mène une politique de propagande révolutionnaire qui s'appuie sur les sociétés populaires. Il est renvoyé avec l'ensemble du ministère girondin par le roi (juin 1792). Redevenu ministre de l'Intérieur après le 10 août 1792, il laisse faire les massacres de septembre et recommande ensuite leur oubli. Élu député à la Convention, il renonce à siéger, préférant rester ministre. Il est alors l'objet de vives attaques de la part des montagnards, qui l'accusent d'avoir détruit des papiers de l'« armoire de fer » compromettants pour ses amis girondins et se moquent de l'ascendant intellectuel qu'exerce sa femme sur lui : il démissionne le 23 janvier 1793. Proscrit avec les girondins en juin, il se cache à Rouen mais se suicide lorsqu'il apprend l'exécution de sa femme en novembre 1793.