Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (IIIe). (suite)

La « question nationale », la Grande Guerre et l'« union sacrée ».

• La « question nationale » devient centrale dans les années 1910-1914. Les problèmes soulevés par la montée des tensions avec l'Allemagne et les débats à propos de la défense nationale suscitent de nouveaux clivages. À propos de la crise marocaine (1911) et de la loi sur la durée du service militaire (que l'état-major demande, en 1913, de porter à trois ans), s'opposent les partisans du durcissement et ceux d'une attitude plus conciliante. Les premiers, sous l'impulsion de Raymond Poincaré et Louis Barthou, deux républicains de gauche, parviennent à faire voter la loi des trois ans, en 1913. Cependant, les radicaux et les socialistes, hostiles à cette loi, emportent les élections de 1914. Le nationalisme connaît un réel regain mais reste l'apanage d'une minorité, le sentiment le plus répandu, largement diffusé par l'école républicaine, étant celui du patriotisme défensif dont la nature est bien différente : ce dernier, en effet, ne sépare pas la cause de la France de celle de la République et se réfère à la visée universaliste de la Révolution française. Cette conception est partagée par l'ensemble des socialistes, à l'exception d'une frange antimilitariste, influente dans les milieux syndicalistes révolutionnaires. Aussi, les querelles portent-elles davantage sur les modalités que sur le principe même de la défense nationale. Ainsi s'explique la formation de l'« union sacrée », en août 1914, qui se concrétise par le ralliement de la CGT et des socialistes à l'effort de défense nationale.

La terrible épreuve de la Grande Guerre renforce le régime. Pourtant, la longueur du conflit et son caractère particulièrement meurtrier auraient pu ébranler la cohésion nationale et modifier profondément le fonctionnement des institutions. En fait, l'« union sacrée » n'est guère contestée durant les deux premières années - de 1914 à 1916 -, sauf par les « minoritaires » socialistes, acquis à l'idée d'une paix de compromis. Ce n'est qu'en septembre 1917 que les socialistes quittent le gouvernement d'« union sacrée », après les mutineries du printemps (provoquées par la lassitude des troupes, qui prennent conscience de l'inutilité des tueries), et après une vague de grèves à l'« arrière ». Néanmoins, jusqu'à la fin de la guerre, aucun courant « défaitiste » n'émerge de façon significative. Sur le plan du fonctionnement du régime, les autorités, pressées par la nécessité, acceptent des entorses aux principes républicains : la censure est instaurée, et une véritable économie dirigée est mise en place, surtout à partir de 1917. Toutefois, le Parlement conserve ses prérogatives, exerçant son droit de contrôle sur l'exécutif, même si Georges Clemenceau, nommé président du Conseil dans un contexte de crise politique en novembre 1917, adopte une pratique plus autoritaire du pouvoir, en s'appuyant sur l'opinion publique. La victoire de 1918 apparaît comme l'œuvre du « Tigre », mais aussi comme l'aboutissement des immenses sacrifices des citoyens mobilisés et de la nation républicaine toute entière.

La IIIe République face à un monde nouveau (1918-1940)

Malgré les difficultés nées de la reconstruction au lendemain de la Grande Guerre, la IIIe République ne semble d'abord pas affaiblie. En revanche, les années 1930 laissent l'image d'une période de crise et de difficultés. En effet, le régime doit faire face aux mutations en profondeur qui affectent la société française et l'environnement international.

Les années 1920 : un âge d'or ?

• L'espoir d'un renouvellement politique est manifeste lors des élections générales de 1919. Mais les années 1920 se caractérisent finalement par la persistance des clivages d'avant-guerre. La formule du Bloc national, correspondant à la législature de la « Chambre bleu horizon » (1919-1924), et présentée comme le prolongement de l'« union sacrée » (à l'exclusion des socialistes), recouvre une coalition hétérogène formée de nationalistes, de radicaux et de modérés, en désaccord sur de nombreux points. Les gouvernements de ce « Bloc » sont dominés par des hommes du centre droit. En vue des élections de 1924, le Cartel des gauches est constitué, qui unit radicaux et socialistes sur la base de la laïcité. Mais, une fois au pouvoir, la coalition se divise sur les questions financière et monétaire, désormais placées au cœur des débats politiques : les socialistes, qui refusent de participer en position minoritaire à un gouvernement « bourgeois », sont favorables à un impôt sur le capital, que rejettent de nombreux radicaux. À la suite de la chute du gouvernement du radical Édouard Herriot, une nouvelle majorité se forme à la Chambre en juin 1926 : Raymond Poincaré constitue alors un gouvernement d'union nationale, dont l'objectif principal est de « sauver le franc ». Il est soutenu par les radicaux, les modérés et la droite parlementaire, héritière des « progressistes » et des « ralliés ». La formule, qui rappelle l'« union sacrée » et le Bloc national, est abandonnée en 1928, quand les radicaux, sous la pression de leur aile gauche, quittent cette majorité. Le centre et la droite gardent le pouvoir jusqu'aux élections de 1932, sous la direction d'hommes nouveaux - André Tardieu et Pierre Laval -, qui remplacent ceux de la génération des années 1890.

En apparence, la République parlementaire est parvenue à résoudre tous les problèmes de l'avant-guerre. La « question constitutionnelle » semble réglée, la République n'étant contestée dans son principe que par l'Action française, ligue royaliste d'extrême droite. Il subsiste cependant des partisans d'un État plébiscitaire, notamment à la ligue des Jeunesses patriotes. À l'extrême gauche, les socialistes favorables à une dictature révolutionnaire de type léniniste se sont regroupés dans le Parti communiste, créé en 1920. La « question religieuse » divise encore le pays dans la première partie des années 1920. Alors que le Bloc national rétablit les relations diplomatiques avec le Vatican et pratique une politique très ouverte à l'égard des congrégations, le Cartel des gauches veut renouer avec le « laïcisme » militant ; mais l'opposition des catholiques conduit ses dirigeants à renoncer à leurs projets. Désormais, la République applique de manière tolérante les lois qui ont instauré la laïcité. La « question sociale » se pose avec acuité au lendemain de la Grande Guerre : les grèves de 1919-1920, qui doivent en partie leur tonalité à l'influence de la révolution russe, sont réprimées avec vigueur par le Bloc national. Mais la République, dans les années 1920, reste fidèle à son modèle social initial : peu de mesures législatives, sauf l'importante loi de 1919 sur la journée de huit heures ; encouragement de la promotion individuelle, par le biais de la gratuité de l'enseignement secondaire à partir de 1930 ; poursuite de l'édification du système de protection « assurantielle » (les lois de 1928 et de 1930 organisent l'extension et la généralisation des assurances sociales, dans le respect du vieil esprit mutualiste). Enfin, la « question nationale » n'est plus abordée sous le même angle : les déconvenues nées de la politique de stricte application du traité de Versailles de 1919 à 1924 et le constat de la faiblesse démographique du pays poussent le régime à suivre la politique d'apaisement mise en œuvre par Aristide Briand (1925-1932), fondée sur la sécurité collective et le rapprochement franco-allemand.