despotisme éclairé, (suite)
Un projet contradictoire dans les termes.
• Mais le cadre général de leur action demeure celui du mercantilisme, au service de la gloire du souverain et non du bonheur des peuples. La réforme n'est en fait que l'instrument d'une politique de grandeur que rien ne distingue de l'absolutisme du siècle précédent. Pour éclairés qu'ils se déclarent, ces monarques n'en restent pas moins des despotes, à la façon d'un Louis XIV.
Aussi, le rapprochement qui s'opère à partir de 1740 entre Philosophes et monarques « éclairés », sur la base d'une lutte commune contre les vieilles structures féodales et l'obscurantisme de l'Église, s'avère-t-il très ambigu. La modernisation forcée apparaît comme un raccourci illusoire. Le bonheur des peuples ne peut guère s'octroyer d'en haut, sans leur consentement. Or le despotisme éclairé peut accepter la liberté civile, mais nullement la liberté politique. Pendant longtemps, cela n'a guère gêné les Philosophes, qui n'imaginaient pas que les peuples, pour l'heure insuffisamment éduqués et englués dans leurs préjugés, puissent avoir leur mot à dire. Mais, séjournant en Prusse ou en Russie, ils finissent par prendre conscience que ce qu'ils ont tenu pour l'avènement de la raison et de l'État n'est que le triomphe de la raison d'État. Loin d'être les purs instruments du progrès vers la constitution un État moderne bientôt soumis à la seule loi de la Raison, les souverains privilégient leurs intérêts dynastiques. En outre, s'ils combattent le pouvoir ecclésiastique, ils s'appuient sur l'aristocratie, confortent son assise sociale, étendent le servage, à rebours des idéaux émancipateurs des Lumières.
À la fin du siècle, quand s'affirme à travers toute l'Europe une aspiration générale à la liberté, le réformisme autoritaire n'est plus supporté. En 1789, les provinces belges se soulèvent contre Joseph II. L'échec de la formule du despotisme éclairé était inscrit dans sa teneur même. Dès 1770, les Philosophes ont dû déchanter.