Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
R

roman (art). (suite)

Une évolution des mœurs

Au fil du XIIe siècle, le fossé se creuse entre la vie rurale, sédentaire et cloîtrée des moines, et la vie citadine. Le commerce et l'artisanat engendrent de nouveaux modes de vie. Les mentalités, moins tributaires de la nature, se transforment et appréhendent différemment le réel, la société, ses exigences, et par là-même l'art. Au sein même de l'Église, une exigence spirituelle et intellectuelle surgit, dont saint Bernard et l'abbé Suger sont, chacun à leur manière, les chefs de file. Ces deux hommes se sont connus, estimés et confrontés. Il ne convient pas d'opposer, comme on l'a fait si souvent, deux évolutions parallèles. S'il n'eurent pas les mêmes idées en ce qui concerne l'art et son usage, du moins lui firent-ils faire, l'un comme l'autre, un bond prodigieux, le premier en orientant l'art roman vers l'épure harmonieuse des murs, des formes et des mesures, le second en misant sur la richesse et le rayonnement des choses précieuses, éclats des choses invisibles. L'impulsion était alors donnée qui allait trouver son épanouissement dans l'art gothique.

Roman de Renart,

ensemble de récits de longueur inégale appelés « branches » et composés, pour l'essentiel, entre1170 et 1250, par des auteurs presque tous inconnus.

Contrairement au roman - au sens moderne du terme -, ces branches se succèdent sans ordre logique ou chronologique : les plus anciennes s'enchaînent encore dans une continuité narrative minimale, mais les plus récentes deviennent indépendantes. À partir de la matrice initiale de ces contes - la guerre entre Renart et le loup Ysengrin - s'élaborent des récits dont le sujet majeur est la perfidie de Renart. Emblème de la ruse et de la méchanceté, le « roux de pute aire » trompe des victimes humaines, et surtout animales qui, d'une espèce à l'autre, incarnent des qualités ou des défauts tirés de l'observation de la nature : le manque de courage du lièvre Couard, la fatuité du coq Chanteclerc, la gourmandise de l'ours Brun, etc. Mais, derrière ces histoires simples, comiques et volontiers grivoises, se déploient une satire sociale qui, sur fond d'anticléricalisme marqué, attaque la féodalité - Renart se révolte souvent contre le lion Noble - et une parodie littéraire qui raille les chansons de geste et l'amour courtois. Le Roman de Renart, dont les sources, très discutées, sont à la fois folkloriques et cléricales, connaît un succès considérable dès l'origine, à tel point que, de nom propre à consonance germanique, Renart (Reinhart) devient un nom commun (« renard »), remplaçant le mot français « goupil ». Il reste le type même du conte animal et de l'écrit satirique.

Roman de la Rose (le),

titre d'une œuvre derrière lequel se cachent en fait deux textes différents, l'un écrit par Guillaume de Lorris vers 1225-1230, l'autre dû à Jean Chopinel, dit Jean de Meung, qui reprit et enrichit l'œuvre de son devancier vers 1270-1275.

Le texte initial est un « art d'aimer » courtois allégorique. Après que le dieu d'amour l'a frappé de ses cinq flèches, le narrateur part à la conquête de la Rose, figure de la jeune fille belle, fragile, mais difficile à approcher, dont il s'est épris. Il est aidé par divers complices (Bel Accueil), ou contrarié par des adversaires (Danger, Raison, Male-Bouche, etc.) de l'amour, auxquels sont prêtés une apparence et un comportement humains. Le poème, long de quatre mille vers, reste inachevé et s'interrompt lorsque l'Amant, en butte à Jalousie, semble en difficulté.

Jean de Meung, clerc érudit, traducteur de textes latins anciens et contemporains (notamment les Lettres d'Héloïse et Abélard), reprend et détourne totalement l'œuvre, à laquelle il ajoute quelque dix-huit mille vers. S'il garde la fiction de la conquête de la Rose, son poème prend la forme d'une encyclopédie satirique qui, de polémique (contre les femmes ou les ordres mendiants) en dissertation, passe en revue avec ironie la plupart des sujets susceptibles d'intéresser un clerc de son époque. Comme dans toute encyclopédie médiévale, la compilation est de règle. Mais Jean de Meung la met en perspective à l'aide d'idées personnelles percutantes. Il en ressort notamment, au-delà d'une grivoiserie typique de la cléricature, un hymne à la nature qui n'épargne guère la littérature courtoise et dans lequel on a pu voir une sorte de « communisme nostalgique » et utopique.

Le Roman de la Rose est une œuvre capitale : presque tous les grands noms du Moyen Âge finissant ont des dettes envers lui. De nombreux poètes reprendront les allégories de Guillaume de Lorris ; beaucoup de penseurs seront fascinés par l'esprit de libre examen de Jean de Meung.

Romme (Gilbert),

homme politique (Riom, Puy-de-Dôme, 1750 - Paris 1795).

Éduqué d'abord par les oratoriens de Riom, il étudie ensuite la médecine à Paris, puis devient précepteur du fils du comte Stroganov. En 1779, il part avec son élève pour Saint-Pétersbourg, où il séjourne cinq ans, et revient s'établir à Paris en 1789. Homme de principes et de projets politiques radicaux, il s'enthousiasme pour la Révolution, et l'« égalité absolue à parité de mérite ». Aussi accueille-t-il très favorablement l'abolition des privilèges. En 1790, il fonde son propre club - la Société des amis de la loi -, dont les membres se réunissent chez Théroigne de Méricourt et défendent notamment l'égalité des droits entre les sexes.

Élu à la Législative, il rédige pour le Comité d'instruction publique un projet d'éducation « pour les enfants des deux sexes issus de toutes les classes de la société », qu'il développe ensuite à la Convention en proposant une éducation nationale pour tous, gratuite et obligatoire. Le procès du roi marque une évolution dans son parcours politique ; il rejoint les rangs de la Montagne, où il retrouve son ami Couthon, avec qui il avait dirigé la Société populaire jacobine de Riom.

Son engagement associe fidélité et singularité. Représentant en mission, il est emprisonné à Caen par les fédéralistes (mai 1793), mais refuse que l'on sanctionne ses ravisseurs. Il milite pour la déchristianisation tout en soutenant le gouvernement révolutionnaire lors de la mission qu'il effectue dans le Sud-Ouest du 5 ventôse an II au 4 vendémiaire an III (23 février-25 septembre 1794), puis s'oppose à la réaction thermidorienne. Sans avoir préparé l'insurrection du 1er prairial an III (20 mai 1795) - au cours de laquelle des sans-culottes envahissent la Convention en réclamant du pain et l'application de la Constitution de 1793 -, il se retrouve au premier plan pour défendre « les droits de l'homme et les lois qui doivent les garantir ». Décrété d'arrestation sur une motion de Tallien, il déclare pour sa défense : « J'ai vu dans la mêlée des hommes affamés de crimes ; j'en ai vu de pressés par le besoin demandant de bonne foi du pain et une garantie de la liberté. Aux premiers la justice doit toutes ses rigueurs. L'humanité ne doit-elle pas aux autres une main secourable ? » Il réaffirme ainsi son adhésion au projet politique de l'an II avant de se poignarder pour en témoigner aux côtés des autres martyrs de prairial.