Malraux (André), (suite)
Dans les années trente, l'intellectuel Malraux est de tous les combats de l'antifascisme. Encore faut-il comprendre que, comme son ami Drieu la Rochelle, mais dans le camp opposé, il vit son engagement dans le lyrisme de l'action révolutionnaire, qui seule saura le distraire de la conscience obsédante de l'absurdité de la condition humaine : « Si nous sommes écrasés, ici et à Madrid, les hommes auront vécu un jour selon leurs cœurs. Tu me comprends ? Malgré la haine. Ils sont libres. Ils ne l'ont jamais été. [...] La révolution, c'est les vacances de la vie » (l'Espoir, 1937). Ce frôlement, imaginaire ou physique, avec la mort est aussi nécessaire à Malraux qu'à Gilles, le héros de Drieu. Malgré ses poses, malgré ses falsifications nombreuses, notamment dans les Antimémoires (tome 1, publié en 1967), de grand mystificateur, Malraux fut donc aussi un homme d'action : chef de l'escadrille España des Brigades internationales pendant la guerre d'Espagne, combattant - tardif - de la Résistance , il sut s'engager pour la révolution, passion de jeunesse, puis pour la nation, qu'il découvre dans la France meurtrie de l'Occupation.
Le chantre du gaullisme.
• Malraux choisit d'attacher ses pas au personnage qui, à ses yeux, incarne cette nation française : le général de Gaulle, dont il est le meilleur chantre, avant et après l'arrivée au pouvoir de ce dernier en 1958. Éphémère ministre de l'Information en 1945, Malraux sait faire vibrer la fibre gaulliste dans les meetings du RPF mais également lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964. Il devient, ce faisant, l'ami prophétique, génial, nécessaire, du général de Gaulle qui, selon la légende, lui aurait offert en 1959 un « regroupement de services » nommé Affaires culturelles, pour l'unique satisfaction de le savoir toujours à sa droite en Conseil des ministres.
Malraux a poursuivi toute sa vie une réflexion sur l'art - notamment dans le Musée imaginaire (1947) ou les Voix du silence (1951) -, qui n'est évidemment pas sans alimenter la politique culturelle menée pendant les dix ans que durera sa mission ministérielle. La culture comme antidote à la déroute de la foi, la métaphore religieuse invariablement filée - le musée comme « temple » -, l'art comme « antidestin », tous ces thèmes seront amplement développés dans nombre de discours ainsi que dans les institutions qui en portent la marque, les maisons de la culture, ces « cathédrales du XXe siècle » dont Malraux fut le prophète.
Entre l'action et le verbe, André Malraux, par ses contradictions, ses palinodies, sa mégalomanie et son narcissisme de « grand côtoyant les grands de ce monde », sa vision messianique de l'histoire et tragique de l'homme, représente l'archétype de l'intellectuel français, la référence indépassable et chatoyante d'un âge d'or désormais clos. Ses cendres ont été transférées au Panthéon, le 23 novembre 1996, ultime hommage cérémoniel de la République.