Michelet (Jules), (suite)
L'historien de la France.
• À partir de 1825, Michelet acquiert de la notoriété, grâce à la publication de tableaux chronologiques et de précis historiques. Il bénéficie de la révolution libérale de 1830, devenant maître d'histoire de la princesse Clémentine - l'une des filles de Louis-Philippe - et, surtout, chef de la section historique des Archives royales (octobre 1830). « Je ne tardai pas à m'apercevoir dans le silence apparent de ces galeries, qu'il y avait là un mouvement, un murmure qui n'était pas de la mort », écrit-il en 1833 : « Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d'hommes, de provinces, de peuples. » C'est là qu'il conçoit le projet grandiose d'une Histoire de France, qu'il poursuit de 1831 à 1867 sous la forme de dix-sept volumes, depuis les origines jusqu'à la fin du règne de Louis XVI. Le lyrisme de la phrase, le rythme de l'inspiration, l'émotivité du style, la richesse de l'imagination, imposent aux contemporains des pages de leur histoire nationale, du Tableau de la France (1833), qui ouvre l'œuvre, à Jeanne d'Arc (1841) ; du Moyen Âge ressuscité, puis renié, à une Renaissance éprise d'humanisme. Élu professeur au Collège de France en 1838, Michelet s'engage aux côtés de Quinet dans le combat de l'Université contre l'Église et dénonce avec violence les jésuites (Des jésuites, 1843) et la morale catholique (Du prêtre, de la femme et de la famille, 1845).
L'historien de la Révolution.
• Michelet rejoint alors le camp démocratique, publie le Peuple en 1846, et entreprend une Histoire de la Révolution française (1847-1853), épopée fulgurante des hommes de la « grande Révolution ». Ses cours sont suspendus par Guizot en janvier 1848 (Michelet publie alors, semaine après semaine, les leçons qu'il ne peut prononcer), mais la proclamation de la IIe République lui permet de retrouver le chemin des amphithéâtres. En mars 1849, il épouse civilement une jeune admiratrice, Athénaïs Mialaret (sa première femme est morte en 1839). Bien qu'il ne soit pas engagé alors directement dans le combat politique, Michelet est à nouveau sanctionné par les conservateurs, d'abord par une suspension de son cours en mars 1851, puis, après le coup d'État du 2 décembre, par une destitution : il doit quitter le Collège de France (avril 1852), puis les Archives (juin 1852), pour avoir refusé de prêter serment à Louis Napoléon Bonaparte. Rendu à l'existence privée, Michelet voyage aux côtés de sa femme et vit de ses publications. Il achève son Histoire de la Révolution française, qu'il remaniera dans un sens hostile à toute dictature révolutionnaire (le Tyran, 1868), ainsi que son Histoire de France, dotée d'une admirable préface (1869) : « La France a fait la France », écrit-il, fidèle à l'inspiration vitaliste et prométhéenne de sa jeunesse, « chaque peuple se faisant, s'engendrant, broyant, amalgamant des éléments [...]. Elle est la fille de sa liberté ». En outre, il ébauche une Histoire du XIXE siècle (1872-1874), demeurée inachevée.
Poésie et histoire.
• Parallèlement, Michelet rédige des ouvrages d'un genre nouveau, donnant libre cours à une puissante veine lyrique qui mêle intimement effusions personnelles, fascination pour la femme, sens de la nature, histoire et poésie : les Femmes de la Révolution (1854), l'Oiseau (1856), l'Insecte (1857), l'Amour (1858), la Femme (1859), la Mer (1861), la Sorcière (1862), la Bible de l'humanité (1864), la Montagne (1868) et Nos fils (1869), où il développe ses convictions pédagogiques. Il tient aussi un extraordinaire Journal. La défaite militaire de 1870-1871 (la France devant l'Europe, 1871), l'explosion sociale de la Commune et la mise en place du régime d'Ordre moral l'accablent. Malade, vieilli, amer, l'historien de la France s'éteint alors qu'il est en villégiature à Hyères, en février 1874.
Postérité d'une œuvre.
• Du vivant de Michelet, Fustel de Coulanges et ses disciples de l'« école méthodique » ont déploré l'absence de références textuelles précises ; un reproche dont l'ancien directeur des Archives, si sensible à la parole vivante du passé, a été scandalisé. Lucien Febvre, auteur d'un vibrant Michelet (1946) d'après-guerre, a célébré en lui le promoteur du projet d'histoire totale de l'école des Annales. Roland Barthes, dans un autre Michelet (1969) de l'âge structuraliste, l'a figuré au cœur d'une thématique d'instincts, de passions et d'obsessions, tout en vidant sa pensée et son travail historique de tout contenu (« credo classique du petit-bourgeois libéral vers 1840 »). À ces jugements anachroniques ou à ces récupérations intéressées, on préférera, avec Paul Viallaneix, retenir l'inspiration qui, à l'aube romantique des années 1820, fut à l'origine de cette œuvre immense et protéiforme : « Pour nous, joyeuse ou mélancolique, lumineuse ou obscure, la voie de l'histoire a été simple, directe ; nous suivions la voie 'royale' (ce mot pour nous veut dire populaire). »